Des Indes à la planète Mars
From India to the Mars Planet
Film
Scénario
SEANCE DU 25 NOVEMBRE 1894
Mr Lemaître
Séance du 25 novembre 1894. Dès le début, Mlle Müller aperçoit dans le lointain une vive lueur. Puis elle éprouve un balancement qui lui donne mal au cœur après quoi, il lui semble que sa tête est vide et qu’elle n’a plus de corps. Elle se trouve dans un brouillard épais qui passe successivement du bleu au rose, au gris et au noir. Elle flotte, dit-elle, et la table appuyée sur un seaul pied se met à exprimer un mouvement flottant très curieux, comme des spires qui recommencent constamment le même tour. Puis Mlle Müller voit une étoile qui grandit, grandit et devient plus grande que notre maison. Mlle Müller sent qu’elle monte.Alors la table commence à épeler : « Lemaître, ce que tu désirais tant ! »
Mlle Müller qui était mal à l’aise se trouve mieux. Elle distingue trois énormes globes, dont un très beau. « Sur quoi est-ce que je marche ? » se demande-t-elle, et la table de répondre : « Sur une terre. Mars. »
Mlle Müller : Que c’est drôle, ces voitures ! Pas de chevaux et presque pas de gens qui marchent. Figurez-vous des espèces de fauteuils qui glissent mais qui n’ont pas de roues. Les gens sont assis dans ces fauteuils, quelques-uns contiennent 4 ou 5 personnes. À droite du fauteuil est fixée une sorte de canne sur laquelle appuie le pouce pour mettre le véhicule en mouvement. Il n’y a pas de rails.
On voit aussi des gens qui marchent. Ils sont faits comme nous et se tiennent par le petit doigt. Le vêtement est le même pour les deux sexes : une longue blouse serrée à la taille, un pantalon très ample et des souliers à semelle épaisse. Les femmes ont de longs cheveux qui pendent dans le dos. Elles ont des chapeaux à fonds étroits avec de larges ailes sur le devant. Les hommes ont les mêmes chapeaux, mais avec des ailes en arrière.
Près de là se trouve un lac d’un bleu gris. Tous ces fauteuils y arrivent. Il n’y a ni verdure, ni barrière mais un terrain uni et, au bord de l’eau, une sorte de trottoir vert clair. Dans la même direction, un second trottoir posé sur l’eau est fait d’une suite de radeaux reliés par une chaînette. Les voitures arrivent sur ces radeaux, on détache la chaînette et les voilà qui traversent de l’autre côté. Les voitures débarquent et les radeaux reviennent seuls à leur place.
Sur l’autre rive se dessine une belle maison. Une dame s’y rend, dans une de ces petites voitures, toute capitonnée de rouge. Elle a de beaux cheveux, des bijoux et une sorte d’étui comme un flacon à parfum. La voilà qui prend l’étui pour l’appliquer contre la porte de la maison, la porte s’ouvre et elle entre. Les escaliers ressemblent aux nôtres, mais les marches sont moins élevées. En haut se trouve une antichambre. La dame y laisse le fauteuil puis elle monte un autre escalier et arrive dans un long corridor. Pas de portes mais des tentures et, au lieu des murs, des espaces vides d’environ un mètre entre deux draperies. Elle entre dans une pièce où se trouve un berceau comme une espèce de panier ovale suspendu à 4 barres de fer. Dans le berceau, on voit un enfant.
Mr Lemaître
Alors la vision devient moins nette et survient un jeune homme dont Mlle Müller dit : « Il me semble que je connais ce visage. Non ! je ne me trompe pas. » Et s’adressant à Mme Mégevand : « C’est votre fils, Madame. »
Puis tout se calme et la table reprend le même mouvement de rotation sur un seul pied qu’elle avait eu au commencement de la séance. Mlle Müller se retrouve dans le brouillard et refait en sens inverse le même trajet. Elle dit : « Ah me revoilà ici ! »
Et plusieurs coups frappés assez fort marquent la fin de la séance.
Je ne sais trop comment expliquer les premiers mots dictés par la table : « Lemaître, ce que tu désirais tant ! » Mr Senn me rappelle que dans une conversation que j’avais eue avec lui l’été dernier je lui aurais dit : « Il serait bien intéressant de savoir ce qui se passe dans d’autres planètes ! » Si c’est la réponse à ce désir d’antan… très bien !
SEANCE DU 17 FEVRIER 1895
Mr Lemaître
Séance du 17 février 1895. Tout de suite la table se met en mouvement : c’est d’abord l’imitation d’un moulin, puis une trémulation, puis comme le galop d’un cheval. Bientôt mademoiselle ne voit plus ses doigts, sa main gauche s’alourdit et lorsque Mr Flournoy lui couvre cette main avec la sienne, mademoiselle répond qu’elle voit une ombre. Mr Flournoy lui pince le petit doigt de la main gauche. Elle ne sent rien.
Mr Flournoy : Sentez-vous que je vous ai touché ?
Mlle Müller : Je sens à la main droite quelque chose de drôle.
Mr Lemaître
Mademoiselle dit qu’elle a les tempes serrées et elle semble s’endormir. Nous lui posons des questions : Êtes-vous sortie cet après-midi ? Voyez-vous nos mains ? auxquelles elle ne répond pas. Elle ne nous entend plus.
Mr Flournoy allume successivement trois allumettes qu’il promène devant les yeux de Mlle. Le regard est fixe et la pupille dilatée
Mlle essaie de se lever mais retombe aussitôt. La main gauche fait trois ou quatre fois avec l’index un geste démonstratif ou impérieux. Elle se frotte l’œil. Elle se lève, passe derrière Mr Senn, en sanglotant franchit le seuil du salon et se retourne. Elle a des borborygmes et des sanglots retenus.
Elle joint les mains, s’agenouille et s’avance à genoux vers Mr Senn.
Mlle Müller : Pardon ! Pardon !
J’ai… j’ai besoin de tout ton pardon ! Dis-moi oui !
Mr Senn : Oui.
Mlle Müller : Merci
Mr Senn : Sois tranquille !
Mlle Müller : Merci !
Mr Senn : Et François ?
Mr Lemaître
À deux reprises et d’un geste sublime elle montre le ciel.
Mr Senn : Tu le vois ?
Mlle Müller : Oui !
Mr Senn : Il est heureux ?
Mlle Müller : Oui !
Mr Lemaître
Il est 9h45. Monsieur Senn et moi, nous avons reconnu l’intonation de la voix de Mme Senn, surtout vers la fin.
Peu à peu Mlle se relève. Elle emporte une chaise qu’elle pousse devant le canapé, puis va se mettre à genoux devant le feu, entre un fauteuil et le canapé avant de s’éveiller.
Mlle Müller : Mais qu’est-ce que j’ai eu ? Un homme ricaneur et bariolé était là, faisant des grimaces. Il était vêtu d’une grande robe blanche à grandes manches, il avait un bonnet blanc et il avait l’air de se moquer de moi. Il avait une moustache noire, des cheveux crépus. Sûrement c’était un farceur.
Mr Flournoy : Vous avez dormi assez longtemps mademoiselle. Avez-vous vu quelque chose pendant votre sommeil ?
Mlle Müller : Oui, j’ai vu une dame qui me semblait par moments être à côté de moi et par moments être moi-même ? Je ne puis vous expliquer cette curieuse impression. C’est une dame plutôt forte que je crois avoir déjà vue, avec des cheveux foncés. On m’a mené vers une croix assez grande avec la dame qui me suivait, et il me semble que j’ai prié vers cette croix. La dame était triste. Mais je ne me rappelle pas autre chose.
SEANCE DU 10 MARS 1895
Mr Lemaître
Séance du 10 mars 1895. Au début, trépidation accentuée de la table, mouvements variés et coups frappés. Puis une ombre cache aux yeux de Mlle la main droite de Mme Mégevand et la main gauche de Mr Senn. Nous constatons, au moyen d’un mouchoir que Mr Flournoy promène sur la table et d’allumettes enflammées à différentes hauteurs, que cette ombre a environ 2 mètres de haut. Elle représente, dit-elle, une grande croix lumineuse.
Mlle s’étonne de ne voir que la moitié droite de mon visage. Puis elle s’endort.
Mr Flournoy : Devons-nous lui faire des passes ?
Deux coups frappés par la table : « Non»
Mr Flournoy : A-t-elle une vision ?
Un coup frappé par la table : « Oui »
Mr Flournoy : Celle de la croix ?
« Non»
Mr Senn : Parlera-t-elle ? Pas de réponse.
Mr Flournoy : Entend-elle ?
« Non. »
Mr Flournoy : Peut-elle lever le bras droit ?
« Non. »
Mr Flournoy : Sa vision se rapporte-t-elle à Mme Mégevand, Mr Lemaître ?
« Non. »
Mr Senn : À Mr Flournoy ?
« Oui. »
Mme Mégevand : Est-ce que Mlle voit un homme ?
« Oui. »
Mr Flournoy : L’a-t-elle déjà vu dans une autre vision ?
« Oui. »
Mr Senn : Est-ce une antériorité de Mr Flournoy ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Est-ce que Mlle incarne la veuve hindoue de la vision de l’autre jour ?
« Oui. »
Mr Senn : Cette veuve est-elle l’antériorité d’une personne connue ?
« Oui. »
Mr Senn : Ici présente ? Pas de réponse.
Mr Flournoy : Cette veuve hindoue, vit-elle maintenant ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Est-ce ma femme ? Pas de réponse.
Mr Flournoy : Étais-je prêtre ?
« Non. »
Mr Flournoy : Prince ?
« Oui. » (énergique)
Mr Flournoy : Mlle souffre-t-elle ?
« Oui. »
Mr Senn : Voit-elle le bûcher avec le prince ?
« Oui. »
Mr Senn : Allumé ?
« Non. »
Mme Mégevand : Mlle Müller a-t-elle été brûlée ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Cette veuve est-elle une antériorité de Mlle ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Pourrions-nous savoir dans quelle ville elle a été brûlée ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Mlle écrira-t-elle ce nom ?
« Non. »
Mr Senn : Le dira-t-elle une autre fois ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Pourra-t-elle épeler le nom de la veuve ou celui du prince ? (Pas de réponse.)
Mme Mégevand : Pourra-t-elle écrire ?
« Non. »
Mr Flournoy : Faut-il l’aider à se lever ?
« Non. »
Mr Senn : Ira-t-elle vers Mr Flournoy ?
« Oui. »
Mme Mégevand : Faut-il que Mr Flournoy se mette sur le canapé ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Mlle voit-elle le bûcher ?
« Oui. »
Mme Mégevand : Mlle est-elle au bord d’un précipice ?
« Non. »
Mr Flournoy : Y a-t-il, comme l’autre jour, des hommes qui la poussent vers ce bûcher ?
« Oui. »
Mme Mégevand : Est-ce que ce sont les messieurs ici présents ?
« Non. »
Mr Flournoy : Puis-je aller à sa rencontre pour la protéger ? (Pas de réponse.)
Mr Flournoy : Y a-t-il un cadavre sur le bûcher ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Est-il allumé ?
« Non. »
Mr Senn : Le sera-t-il bientôt ?
« Oui. »
Mr Senn : La veuve s’y jettera-t-elle ?
« Non. »
Mme Mégevand : L’y mettra-t-on de force ?
« Oui. »
Mr Senn : Supplie-t-elle ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Mourra-t-elle ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Bientôt ?
« Oui. »
Mme Mégevand : Tombera-t-elle ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Faut-il m’étendre sur ce bûcher ? (Pas de réponse.)
Mademoiselle se lève et marche à reculons. Nous demandons pourquoi ? C’est parce qu’on s’empare d’elle. Elle se lève sur la pointe des pieds et fait quelques pas.
Mr Flournoy : Les hommes la tiennent-ils ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Va-t-on la coucher ?
« Non. »
Mme Mégevand : Restera-t-elle debout ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Faut-il la soutenir ?
« Non. »
Toujours sur la pointe des pieds, Mlle avance et recule légèrement. Puis elle tombe brusquement sur ses genoux en jetant la tête appuyée sur ses deux mains dans un fauteuil. Elle sanglote.
Sa respiration devient courte et nous assistons à une agonie.
Mr Flournoy : Est-ce qu’elle brûle ?
« Oui. »
Mme Mégevand : Le supplice sera-t-il bientôt terminé ?
« Oui. »
Mr Senn : Faut-il l’aider à se relever ?
« Non. »
Mr Flournoy : La veuve est-elle morte ? (Pas de réponse.)
Mr Flournoy : Est-elle à l’agonie ?
« Oui. »
Pendant quelques secondes, la respiration cesse complètement. Et suit une profonde inspiration.
Mme Mégevand : Mlle va-t-elle se relever ?
« Oui. »
Mr Senn : La veuve est-elle morte ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Souffre-t-elle encore ?
« Oui. »
Mlle ouvre les yeux, nous regarde en souriant, puis se rendort. Elle est en catalepsie et nous ne pouvons lui soulever le bras, sauf Mr Flournoy avec qui elle est en rapport. Lorsque Mr Flournoy me tient par le poignet, je soulève aisément le bras de Mlle, mais lorsqu’il me lâche, le bras retombe lourdement. Nous formons une chaîne à l’extrémité de laquelle se trouve Mr Flournoy. Je soulève le bras de Mlle , qui retombe dès que Mr Flournoy se sépare de la chaîne.
Mme Mégevand : Qu’avez-vous vu Mlle ?
Mlle Müller : Beaucoup de choses peu gaies. C’était encore cet homme sur le bûcher et une femme qu’on voulait y mettre malgré elle.
Mlle est visiblement préoccupée. Elle regarde la cheminée.
Mlle Müller : Mais il y a quelque chose de drôle sur votre cheminée, il faut que je regarde la cheminée, je ne sais pourquoi.
SEANCE DU 7 AVRIL 1895
Mr Lemaître
Séance du 7 avril 1895. Au début, mouvement de la table sur un seul pied. Mlle entend un bruit vague dans toute sa tête et cinq minutes après, elle est devenue sourde. Elle voit au mouvement de nos lèvres que nous parlons. Sa main droite est prise, tandis que la main et le bras gauches sont libres. Mr Flournoy lui prend la main gauche.
Mlle : Que voulez-vous faire avec ma main, je sens que vous me pincez.
Mr Flournoy : M’entendez-vous ?
Mlle : J’entends une voix, seulement je ne comprends pas.
Mr Flournoy (plus fort) : Entendez-vous ?
Mlle : C’est vous qui parlez Mr Flournoy ? Je vous vois tous… mais pourquoi Mr Flournoy est-il parti ?
Qui est ce monsieur qui est venu là ?… vous auriez pu me le dire, Monsieur Lemaître !… surtout… ce qui paraît drôle, c’est que Mr Flournoy lui a donné sa place… Pensez que je connais cette figure…
Cette table était ronde, pourquoi a-t-elle maintenant une forme allongée ?
Mr Flournoy : Mlle voit-elle quelqu’un à ma place ?
Table : « Oui. »
Mr Flournoy : Pourrons-nous savoir qui ?
« Non. »
Mlle : Cet homme ne s’assied pas, il a les mains sur la table, mais il est agenouillé, il a des cheveux noirs, un teint très brun… Je n’aime pas ça, je ne voulais personne. Monsieur Flournoy est parti et on a introduit quelqu’un d’autre à sa place.
Mr Flournoy :— Je suis là Mlle !
Mlle : Qui parle ?
Mr Senn : C’est Mr Flournoy.
Mlle n’entend rien. C’est seulement quand Mr Flournoy lui adresse la parole qu’elle perçoit un son. Elle se lève et tourne autour de Mr Flournoy en le regardant attentivement puis elle s’adresse à ce personnage dont il tient lieu.
Mlle : Il ne dit pas qui il est. Il a de bien beaux habits, tout garnis d’or. Ces grandes manches !… Qu’elle est belle cette robe !… Comme elle est d’un beau bleu !… Dites-moi qui vous êtes ! Pourquoi ne voulez-vous pas me le dire ?… Monsieur Lemaître, vous auriez dû me prévenir, on n’amène pas comme ça des étrangers sans me le dire !
Vous ne comprenez peut-être pas le Français ?… Il me semble que je vous connais, mais… Cette ceinture !… c’est de l’or !… C’est beau cette pierre grenat, avec toutes ces petites autour !… Mais pourquoi cette manche d’une couleur et l’autre d’une couleur différente ? J’entends la voix de Mr Flournoy, où est-il ?
Mr Flournoy prend la main de Mlle et constate que le bras gauche est libre alors qu’il y a hyperexcitabilité dans la bras droit. Mlle s’en va vers le piano, et regarde du côté de la fenêtre.
Mlle : C’est joli tout de même, c’est beau ces arbres… Regardez ! Il sont tout enlacés… Ce n’est pas une grande ville ; ce qu’il y a de joli c’est cette colline… Regardez !… ce doit être un château.
Mr Senn : Pourrions-nous avoir le nom de ce château ?
Table : « Non ! »
Mme Mégevand : Est-ce que Mlle le dira ?
« Oui. »
Mlle : Il n’a pas le même costume aujourd’hui… Il est mis plus simplement, il est entouré d’hommes noirs qui sont très laids et de femmes qui sont belles… C’est lui, je le reconnais !
Dans une séance qui eut lieu ultérieurement chez M. Flournoy, nous obtenons de Mlle, par une dictée faite au moyen du petit doigt, le nom du château, du prince hindou et la date se rapportant à la vision. Sivrouka Nayaca – 1401.
SEANCE DU 27 OCTOBRE 1895
Mr Lemaître
Séances du 27 octobre 1895. Mlle s’endort. Le sommeiln’est pas bien long. Elle relève la tête qu’elle avait appuyée sur la table et dit : « Mr Lemaître !… » puis elle regarde en riant Mr Flournoy.
Mlle : Mr Flournoy qui a mis une perruque ! Oh mais cette perruque !… Monsieur Lemaître ! Madame Mégevand!… Mais cette perruque, je regarde cette perruque !
Elle se lève, va vers Mr Flournoy qu’elle contemple et lui passe la main dans les cheveux qu’elle voit au-dessus de sa tête. En même temps elle prononce quelques mots.
Mlle : Cette perruque, tous ces cheveux noirs, de belles boucles ! Qu’est-ce qu’il fait ?… Regardez s’il en a des cheveux.
La tablerépond à nos questions que nous sommes dans l’Inde, à Madras. Puis Mlle, en faisant le geste hindou, reste debout près de Mr Flournoy. Nous demandons : « La princesse Simandini est-elle là ? » Et la table répond : « Oui. » Il est dit de la même manière que Mr Flournoy joue le rôle de Sivrouka.
Mlle se laisse ensuite fléchir sur le genou droit devant Mr Flournoy. « Simandini s’appuie-t-elle contre Sivrouka ? » La table répond : « Oui ! »
Mouvements de la table, combinaison d’un glissement et d’un balancement qui représentent, nous est-il dit, une émotion.
Mlle : Toujours des farces !
Mr Flournoy : Qui vous fait des farces ?
Mlle : Vous tous !… Voyez ce museau ! Et ces griffes ! Ôtez donc ce museau ! Mais comment pouvez-vous parler avec ça dans la figure ?
À Mr Flournoy, Mlle voit une perruque bouclée. C’est la répétition d’une scène que nous avons eue à notre séance précédente. Elle ne veut pas s’asseoir et court après Mr Lemaître qui s’est caché à la salle à manger. Puis elle s’endort.
Mr Flournoy : Parlera-t-elle ?
(Table) « Oui. »
Mr Senn : Sera-ce une dame ?
« Non. »
Mme Mégevand : Un monsieur ?
« Non. »
Mme Mégevand : Un enfant ?
« Non. »
Mr Senn : Un désincarné ?
« Non. »
Mr Flournoy : Voit-elle quelque chose ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Est-ce le singe Mitidja ?
« Oui. »
Mr Senn : Dans le palais de Sivrouka ?
« Oui. »
Mr Senn : Elle l’a emporté avec elle ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Dans la résidence de Sivrouka ?
« Oui. »
Mr Flournoy : Sivrouka est là avec Simandini ?
« Oui. »
Mlle fait le tour du salon et cherche, sous les meubles, le singe qu’elle a perdu. Tantôt elle le retrouve et se met à rire, tantôt elle le perd et tire des portes imaginaires pour voir où il s’est enfui. Ensuite elle tire les mêmes portes pour regarder si son époux arrive. À plusieurs reprises elle s’assied à terre sur le tapis en caressant son singe et elle lui parle avec un accent hindou charmant.
Mlle : Mama kana sour Mitidja. Kana Mitidja.
Sivrouka entre probablement dans la pièce. La figure de Simandini exprime une soumission forcée. Sivrouka la gronde puis elle lui parle.
Mlle : Adrapati tava Sivrouka… no sim yo sinoyedo… on yedio Sivrouka.
Pendant que Mlle garde le silence, nous obtenons au moyen de ses doigts les renseignements suivants : Sivrouka a eu onze femmes, y compris Simandini qui est la dernière.
Mlle s’assied, le corps penché en arrière et le bras droit appuyé sur un objet par nous invisible, le coude très écarté. Cette position, qu’elle garde fort longtemps, serait impossible pour une personne à l’état naturel.
Mr Flournoy : Est-elle accoudée sur un objet ?
« Non. »
Mr Senn : Sur Sivrouka assis à côté d’elle ?
« Oui. »
Mr Senn : Va-t-elle parler à Sivrouka ?
« Oui. »
Mme Mégevand : Son coude est-il appuyé sur la jambe de Sivrouka ?
« Oui. »
Mlle : Mama plia… mama naccimi Sivrouka… ao laos mi Sivrouka.
Mr Flournoy : Sivrouka est-il parti ?
Mlle a des sanglots et verse quelques larmes.
Nous lui demandonsce qu’elle a vu et elle nous raconte.
Mlle : Vilaine soirée ! J’étais malheureuse, je me sentais ici vivant comme toujours, et je voyais des choses comme étant à l’étranger. J’étais avec vous et je vivais ailleurs… Supposez que vous rêviez et que vous vous réveilliez en rêvant que vous étiez autre chose… J’étais dans un pays où il y avait des tentes, et point de pierres. J’ai été à deux endroits… Je me suis réveillée et j’ai vu deux hommes, l’un assis devant une tente, l’autre derrière une autre… Il y avait des hommes avec les pieds nus, il y en avait des jaunes et des noirs, les deux premiers étaient jaunes.
SEANCE DU 2 FEVRIER 1896
Mr Lemaître
Séance du 2 février 1896. La table se met tout de suite en mouvement et salue tout le monde. La main de Mme Mégevand devient très lumineuse et la voix de Mlle commence à s’enrouer ; elle voit sombres les parties qui sont claires et réciproquement. Elle accuse un chatouillement dans les yeux, une sorte de démangeaison. Elle distingue bien les doigts de Mme Mégevand, mais ne voit pas le reste de sa main droite ni son bras. Il se forme un arc-en-ciel d’un bon mètre et demi de diamètre dont Mme Mégevand occupe le centre, Mr Senn l’extrémité gauche et moi la droite. Mlle ne voit pas Mr Senn et seulement une moitié de mon visage. Elle ne distingue pas le sol. L’intérieur de l’arc est vert et pourtant tout est rouge avec des teintes fondues.
Bientôt ellenous indique une superposition de couleurs dans l’ordre suivant : Noir, vert, bleu, jaune, rouge. Puis les couleurs s’éparpillent sur la table en nombreuses petites tâches. Il y a beaucoup de bleu devant Mme Mégevand. Mlle s’étonne qu’on ait fait l’obscurité.
L’arc s’est élevé très haut. À terre, elle voit un objet. Elle se lève, se précipite au-devant de l’objet contre la table qu’elle ne voit pas. On ôte la table et elle reste debout.
Le petit doigt dicte : « Elle nous parlera un langage non pas terrestre, mais parlé sur Mars. »
Mlle : Qu’est-ce que c’est que ce petit char ?… cette chaise à roues ?… Ou êtes-vous ?… Allons ! Venez donc, vous là-bas !… Comment est-ce que ça marche ? … Je ne comprends pas ce langage… Vous n’avez pas trop chaud avec cette robe ? … Je ne comprends pas… Vous voulez que je monte là-dedans, oh non !… Parlez-moi français !… Je n’y comprends rien … Parlez que je vous comprenne ! Est-ce facile à apprendre ?… Au nom du ciel d’où sortez-vous ?… Vous croyez que j’apprendrai facilement ; je n’aime pas apprendre les langues étrangères… Un autre va venir ?
Alors je ne comprendrai pas grand-chose… Est-ce que vous comprenez quand je vous cause ?… Comment me comprenez-vous puisque je ne vous comprends pas ! Parlez-moi tout le temps en français… Jamais je ne pourrai retenir tout ça. Ça veut dire quoi ?… Il faudra que je leur raconte toute cette histoire, ça les intéressera… C’est un langage impossible ! Dites, comment appelle-t-on ? Quelle langue ! Est-ce du chinois ? Si au moins je pouvais saisir ce que vous me dites là !… Je veux bien le dire, mais à une condition : Vous me direz ce que ça signifie !… Vous savez le Français, vous avez parlé deux fois en français !… Que racontez-vous là ? Il y a quelqu’un qui parle français mais où est-il ? Allez le chercher ! Dites lentement, je répèterai… Mitchma mitchmou minimi tchouanimen mimatchinag masichinof mezavi patelki abresinad navette naven navette mitchichenid naken chinoutoufiche…
Oh ! j’en ai assez ! vous m’en dites tellement ; je ne saurai jamais le redire !… Répétez en français !… Je n’y comprends rien, j’en ai assez !
Mlle, debout, est pendant quelques minutes dans une immobilité absolue. Puis vient un balancement progressif des épaules et du corps avec oscillations. Par le doigt, nous apprenons qu’il y a eu traversée de l’éther et de l’atmosphère de Mars. Puis viennent une série de balancements rythmiques des plus étranges. Main gauche perpendiculaire à la figure avec le pouce touchant les lèvres, tandis que la main droite donne une chiquenaude sur le petit doigt. Ou bien : pouce sur le menton et petit doigt sur le front tandis que la paume de la main droite se colle contre l’oreille et que le plat de la main est frappé par l’autre main. À plusieurs reprises, le pouce droit s’appuie sur la figure tandis que la main gauche imprime au petit doigt droit une curieuse torsion, le tout suivi de courtes révérences.
Mr Flournoy essaie d’engager un dialogue avec Mlle, mais celle-ci lui répond en martien.
Mlle : Kèsin ouitidgé…
Mr Flournoy : Parlez donc en français, vous savez le Français !… Comment vous appelez-vous en martien ?
Mlle : Basimini Métèche.
Mme Mégevand : Racontez-moi quelque chose à moi.
Mlle parle toujours en martien, mais cette fois sur un ton affectueux et à demi voix. Elle prend la main de Mme Mégevand qu’elle caresse et baise avec amour. Entre autres mots, j’entends… Tin is toutch… Mme Mégevand, très émue, trouve que Mlle lui prend la main et la caresse exactement comme l’avait fait son fils mourant.
J’en profite pour lui poser quelques questions dont je sais d’avance les réponses en français : « Quelles personnes y avait-il mercredi à la séance chez Mr Cuendet ? »
Mlle : Métich Cuendet, Médache Cuendet, Métich Senn, Métaganich Müller.
Mr Senn : Alors vous n’étiez pas nombreux, vous étiez combien ?
Mlle : Kintch
Un instant après Mlle répète dans l’ordre suivant : « Métich Cuendet, Senn, Médache Cuendet, Métaganich Müller. » Nous aurions donc quatre mots martiens avec la traduction : Métich = Monsieur ou Messieurs. Médache = Madame. Métaganich = Mademoiselle et Kintch = 4
P.S. J’ai oublié de noter quelques réponses données par le doigt dans le cours de la séance. Les voici : La femme et le jeune martien ont parlé chacun une fois en français. Il n’y a pas sur la terre de langue ressemblant au martien. Il y a empêchement à ce que la traduction du martien nous soit donnée. Mlle s’est trouvée sur l’atmosphère de Mars, mais non sur de l’eau. Elle a incarné un Martien. C’est le Martien qui répond et qui fait des gestes extraordinaires. Il a habité la terre. C’est Mlle et non le Martien qui a entendu le piano. C’est la musique qui a fait revenir de Mars Mlle. Ce Martien était Alexis Mégevand. Il sait encore le français mais a parlé martien par la bouche de Mlle .Alexis a, sur Mars, un père et une mère. Il a d’autres sens, ajoutés à ceux qu’il possédait sur la terre. La vie sur Mars est plus longue qu’ici. Le berceau vu dans Mars autrefois n’était pas celui d’Alexis. Alexis viendra une autre fois et parlera français.
SEANCE DU 13 SEPTEMBRE 1896
Mr Lemaître
Séance du 13 septembre 1896. Mlle regarde et prend l’annulaire gauche de Mr Flournoy comme si elle y voyait une bague qui n’y est pas. Elle s’assied sur le tapis près de lui et entame un dialogue.
Mlle : Tu te souviens de Kana !… C’est que tu préférais Adèle, je crois !
Mr Flournoy : Lequel préférais-tu ?
Mlle : Oh Kana !
Mr Flournoy : Il était plus gentil ? Adèle était pourtant si obéissant ?
Mlle : Oh non !
Mr Flournoy : En quoi t’avait-il désobéi ?
Mlle : Il ne soignait jamais mes boulbouls.
Mr Flournoy : Est-ce que Kana les soignait ?
Mlle : Oh oui !
Mr Flournoy : Combien avais-tu de boulbouls ?
Mlle : Beaucoup.
Mr Flournoy : De quelle couleur ?
Mlle : De toutes les couleurs.
Mr Flournoy : Et Adèle ne faisait rien ?
Mlle : Adèle soignait beaucoup Mourativan ! C’était les plus belles sumanas de notre jardin !
Mr Flournoy : Ces sumanas étaient de quelle grandeur ? Est-ce que tu m’entends ?
Mlle : Tu te souviens du joli boulboul qu’il avait pris près de ses beaux radivas. Il m’aimait beaucoup ! Tu as toujours préféré Adèle !
Mr Flournoy : Pourquoi ne l’aimais-tu pas ?
Mlle : J’en avais peur !… Pitaram avait voulu qu’il me suive et il avait bien fait. Mais toi tu t’es souvent fâché !
Mr Flournoy : Contre qui ? Pourquoi ?
Mlle : Tu sais quand il venait baiser mes pieds. Il était si amusant quand il venait autour de nous. Tu te souviens qu’il s’inclinait jusqu’à terre et disait : « Mama kana balava… mama kana balava ! » Tu n’aimais pas ça. Toi tu préférais Kangia, tu préférais Mougia, tous ceux que je n’aimais pas… Kana, toi-même tu disais qu’il avait une voix si douce !
Mr Flournoy : Tu te rappelles quand il parlait arabe ?
Mlle : Oui !… Et… tu riais souvent quand je le comparais à ma jolie gazelle… Son pas était si léger ; il avait les mêmes yeux, de grands yeux doux.
Mr Flournoy : Il avait les yeux bleus ?
Mlle : Ils étaient noirs… Pauvre Kana !
Mr Flournoy : Comment il est mort ? Pourquoi pleures-tu ? Est-ce qu’il a été malade ?
(Silence)
Demain matin tu m’écriras une lettre où tu me parleras de Kana et de ton Pitaram.
SEANCE DU 8 NOVEMBRE 1896
Mr Lemaître
Séance du 8 novembre 1896. Dès le début, l’index gauche dit que nous aurons du martien. Le pouce gauche me dit qu’en articulant le nom d’Ésenale j’obtiendrai la traduction, il me répond aussi que le martien sera prononcé assez lentement pour que je puisse le transcrire. Suit chez Mlle un mouvement de rotation de tous les doigts de la main gauche et bientôt de tout l’avant-bras gauche. Le bord de la table forme comme le diamètre du cercle assez grand décrit par l’avant-bras.
L’index droit répond dans l’ordre suivant aux questions que je pose : « Mlle s’élève vers Mars. » « Sa main gauche appartient déjà au monde martien. » « Mlle arrivera bientôt sur Mars. » « Elle y distingue déjà quelqu’un. » « C’est Ésenale, un désincarné martien qui lui apprend à parler. »
Puis la main gauche de Mlle se dresse en l’air immobile et, par le petit doigt, nous apprenons encore ceci : « Astané est un désincarné ni terrestre, ni martien. »
Comme je m’embrouille dans les questions, le doigt s’agite pour parler et dicte : « Astané vit sur Mars. Astané y a toujours vécu. Ésenale rapporte ce que dit Astané. Mars est un monde un peu supérieur à la Terre. Il y a sur Mars des désincarnés terrestres, mais Astané n’est pas de ceux-là. » « Ésenale est un ancien terrien qui habite Mars. »
Mlle : Astané, j’aimerais bien venir souvent vers vous. Mais vous enlèverez bien d’ici cette vilaine bête… Oh non, je ne crois pas qu’elle soit intelligente… Oh non, je ne veux pas la voir et je ne veux pas qu’elle m’approche… Elle est très laide !
C’est elle qui écrit tout cela ; je ne le croirai que quand je le verrai !… Alors faites-là écrire !… Ah ! elle ne comprend pas ; c’est par routine qu’elle écrit !
Ses yeux ne sont pas bêtes quand on la voit… Elle est mignonne au fond cette bête !… C’est elle qui descend la lunette ?… Elle sait la dévisser ?… Elle vous la donne. Alors elle est pendable. C’est cocasse !… Mais est-ce vous qui lui avez appris à être intelligente ? Vous avez dû mettre bien du temps… Non ? C’est dommage qu’elle soit si laide ! Je n’aime que les jolies choses ! Vous me montrerez votre lanterne… Vous me mènerez dans votre maison, partout, et vous me laisserez regarder dans votre lunette ? La plus belle de vos étoiles ! Vous me laisserez regarder votre belle étoile n’est-ce pas ?
L’index droit nous dit que nous allons entendre du martien. De temps à autre je prononce le nom d’Ésenale, selon la recommandation.
Bientôt Mlle se lève et s’avance vers Mme Mégevand puis elle fléchit les genoux. Elle lui prend la main droite et la caresse amicalement à plusieurs reprises.
Mlle : Mon déiné cé djï sé vouitch ni évé chéé quiné liné.
Quand la phrase est achevée, tandis que Mlle continue à caresser la main de Mme Mégevand, je dis Ésenale et nous obtenons le mot à mot. C’est à demi voix que Mlle nous en donne l’interprétation.
Mlle : Mondé, Mère – iné, adorée – cé, je – di, te – cévouitche, reconnais – ni, je – êvé, suis – ché, ton – kiné, petit – Linet.
Je demande à Mme Mégevand d’où provient cette appellation de Linet et elle nous explique que son fils Alexis était connu sous ce nom dans son village de Saconnex d’Arve.
L’index gauche nous dit qu’Ésenale était jadis Alexis Mégevand. L’index gauche, de nouveau, nous dit que bientôt Mlle s’éveillera ; qu’elle descend de Mars, ce qui lui donne mal au cœur.
De tout cela, Mlle ne se rappelle qu’une seule chose, c’est qu’elle a vu une jolie tête blonde et frisée.
SEANCE DU 29 NOVEMBRE 1896
Mr Lemaître :
Séance du 29 novembre 1896. Mlle dit : « J’ai une grande envie de rire ! » et elle rit. Elle nous raconte qu’elle a très froid aux mains tout en ayant le corps chaud. Puis, un moment après, le froid monte jusqu’aux coudes. Il y a allochirie, la main gauche est prise.
Tout à coup, elle redresse ses doigts sur la table comme si on lui soulevait les paumes. Puis les 4e et 5e doigts se tiennent en l’air et il n’y a plus, bientôt, que les médius qui soient en contact avec le bois.
Mlle : Quelque chose me soulève les mains, c’est comme une perche ou une canne, mais c’est glacé. Est-ce que vous la voyez maintenant ? C’est une colonne. Elle tourne en spirale. On dirait de gros anneaux !…
Par l’index droit il est dit que Mr Flournoy aura à prononcer le nom d’Ésenale.
Mlle prend la main de Mme Mégevand et prononce quelques mots.
Mlle : I modé mété modé modé iné palette nice ché péliché ché chiré né ci ten ti vi.
Pour la traduction, Mlle répète tantôt les mots martiens, tantôt continue la phrase sans les répéter. Je me fais redire certains mots pour savoir comment les séparer. La phrase devient en français : « Ô mère, tendre mère, mère bien aimée, calme ce chagrin, calme tout ton chagrin, ton fils est près de toi ! »
Mme Mégevand : Un monsieur… Deux messieurs… Un cercle désincarné, avec autour tout ce qui brille : du bois verni, des lames ?… Une bête… Moi aussi sa tête me fait peur… Me mentez-vous, me dites-vous la vérité ?… Évidemment dans l’obscurité, on ne se rend pas bien compte. Peut-être est-ce un hasard. Et pourquoi ça ?… Il conduisait comme un dément… Pourquoi a-t-il fallu que je vive après lui ? Parfois je voudrais dépérir, je voudrais être morte… Occupez-vous bien de lui mon petit…
DISPARITION DE Mr SENN ET Mme MÉGEVAND
SEANCE DU 13 DECEMBRE 1896
Mr Lemaître
Séance du 13 décembre 1896.
Mlle : J’entends une voix lointaine, comme un écho.
Mr Flournoy : Essayez de comprendre.
Mlle : C’est de là que ça vient. Attendez… j’ai cru saisir et ça m’a échappé.
Mr Flournoy : Ça reviendra.
Mlle : Je n’entends pas ça avec les oreilles, je ne sais pas comment j’entends ; il me semble que c’est dans les yeux et dans le front ! Un moment j’ai cru que j’allais entendre quelque chose. Je ne vois rien, mais je me sens attirée… Voilà la voix… Attendez… Ti iche cêné espênié ni ti êzi atêv Astané… je ne peux pas comprendre, attendez. Il y a autre chose… êzi érié vizé é vi… Je n’entends plus. i kiché ten ti si ké di êvé dé étéche mêné izé bénézée.
Tout à coup la main gauche de Mlle frappe la table à plusieurs reprises avec les doigts. Suit une transformation subite. Geste hindou. Mlle se lève, va s’asseoir sur le canapé, met la main gauche dans le cou et de la droite fait un geste démonstratif en montrant la cuisine. D’une voix fluttée que nous connaissons, elle prononce des mots hindous.
Mlle : Kanga sourd Kanga sourd itiami Kanga emi adia pri vingesa iva éka ganda iva éka baga.
L’index droit dit que nous aurons la traduction du martien et qu’il me faudra prononcer Ésenale. Dès lors et pendant toute la séance nous avons une lutte entre la scène martienne et la scène hindoue.
Mlle : Il est parti Ésenale, il reviendra bientôt. Ésenale, il est parti. Bientôt il reviendra !
(Avec force) — Kanga !…
(Avec douceur) — Sivrouka… Sivrouka ! Sivrouka magè sapri mama sadour soudé Sivrouka. Il est parti Ésenale…
A nouveau geste hindou et sourire.
Un peu après, elle reprend et en prononçant Ésenale, j’obtiens la première partie de la traduction martienne.
Mlle : De notre belle espénié et de mon être Astané… Il est parti Ésenale… De notre belle espénié et de mon être Astané mon âme descend à toi !
Geste hindou et caresse. Mlle répète espénié en montrant le plafond ou plutôt le ciel. Par l’index gauche il est dit qu’on pourrait le traduire par « terre », « planète », « demeure ».
À nouveau geste hindou. Et un peu après, nous avons la fin de la traduction martienne.
Pour le reste, il a été impossible vu la suggestion hindoue, d’avoir le mot à mot.
Elle se frotte les yeux, puis commence un dialogue, pour nous monologue, dans les termes suivants :
Mlle : On n’a jamais deux jours heureux… toujours être tourmentée par quantité de choses désagréables… Enfin, en tout cas vous veillez toujours sur moi. Et puis il faut croire que peut-être c’est pour mon bien. Il faut voir les choses ainsi, se faire une raison… D’abord oui, c’est vous qui avez remporté la victoire dans cette affaire… C’est vous qui me l’avez fait écrire et au moment où je m’y attendais le moins, il m’a fallu prendre la plume… D’abord ces expressions, elles ne sont pas de moi… Il a paru content, heureux même, mais je lui ai bien fait sentir que c’était moi… J’ai bien fait, plutôt vous avez bien fait parce que ce n’est pas moi qui ai écrit ; vous m’avez dirigé, merci !
SEANCE DU 14 MARS 1897
Mr Lemaître
Séance du 14 mars 1897. Mlle Müller met les mains sur la table, elle a froid et une envie démesurée de pleurer. Après un long silence, elle parle.
Mlle : N’entendez-vous pas comme le bruit devient fort ? j’ai entendu le nom hindou… Simandini, Simandini, c’est la voix d’Astané… lé lâmi… vous… Simandini mêné kisé pavi kiz atimi.
Elle ne nous entend plus et regarde en face d’elle vers le haut. Les doigts gauches se ferment puis les droits se lèvent en commençant par le petit. Ses yeux se ferment. Mouvement de rotation lent des deux mains l’une autour de l’autre, respiration superficielle et haletante qui s’accélère. Battements de l’index gauche. Arrêt en expiration puis inspiration profonde. Le buste se redresse, la figure est souffrante.
Mlle lève la tête, sa respiration est de plus en plus accélérée. Elle se dirige vers Mr Flournoy, lui met les mains sur les épaules, lui prend la main droite avec émotion et sanglots contenus avant de prononcer : « i men. » Puis elle va s’asseoir sur un fauteuil et un moment après sur le canapé. Elle a des contractions frontales et donne assez péniblement la traduction du martien pendant que Mr Flournoy lui presse les tempes et articule le nom d’Ésenale.
Mlle : Simandini lé lami – Simandini me voici ; Simandini mêné – Simandini amie ; kisé pavi kiz atimi – Quelle joie, quel bonheur !; I modé dumeïné modé – Ô mère, ancienne mère ; Kêvi cé mache povini – quand je puis arriver ; Poénêzé muné é vi – quelques instants vers toi ; saliné éziné mimâ nikaïné – j’oublie mes parents niKainé ; modé – ô mère !; i men – ô ami !
Mlle est en catalepsie. Par l’index droit il est dit qu’il y a trois choses à faire pour lui faciliter le réveil : Presser sur le nerf sub-orbitaire, souffler sur le front et faire des passes de dégagement. Mr Flournoy fait ainsi et Mlle s’éveille.
SEANCE DU 27 JUIN 1897
Mr Lemaître :
Séance du 27 juin 1897. De suite la table s’incline vers Mlle quiraconte que depuis plusieurs jours, elle a constamment devant les yeux et surtout devant l’œil gauche, une ligne brillante horizontale.
Elle se lève et va s’asseoir vers la fenêtre en regardant à terre, puis elle revient à sa chaise.
Mlle : Je vois une forme blanche qui va et vient, c’est un corps, un enfant, un bébé, je ne vois pas sa tête… ah si, une petite tête brune, des grands yeux noirs, tout ronds… il s’allonge… ah ! c’est Ésenale ! Je ne sais pourquoi il s’en va… Il m’a donné des coups de tête… il m’a fait mal ! Comment a-t-il fait, je ne l’ai pas vu… Monsieur Flournoy, regardez-le, ne trouvez-vous pas qu’il lui ressemble ?
Mr Flournoy : À qui ?
Mlle : À Ésenale !… Il change… ses yeux sont moins noirs, plus petits… Il m’a donné un coup à la tête en passant… Ah ! le voilà de nouveau tout petit… il s’allonge… il change de couleur, écoutez, il cause !
Mr Flournoy : Qu’est-ce qu’il dit ?
Mlle : Quand je veux parler je ne peux pas ; on dirait qu’on me tient la bouche… Ésenale, venez ici ! Ah ! voilà Astané ! Approchez-vous près de moi… Le voilà ! Ils se regardent, mais ne se parlent pas. Astané est âgé, Ésenale est jeune…
Ça ne boit pas l’encre sur cette étoffe ! C’est une étoffe où l’encre sèche tout de suite, une sorte de buvard ! Vous écrivez là-dessus, on n’a pas de papier chez vous ? C’est joli cette écriture… tout ça résume un long discours… Voulez-vous m’apprendre à écrire ? On prétend que vous avez dit que j’écrirai, est-ce vrai ? Restez Ésenale ! Écoutez, voilà Ésenale qui parle : Modé tatinée cé ké mache radziré zé tarvini va nini nini triménêni ii adzi cé zé sémïré bésiche i modé inée kévi bérimir – m hed ? kévi machiri cé di triné ti éstotiné ni bazée animima. Écoutez : I modé cé méï adzi iliné i modé inée cé ké lé nazère ani.
Elle donne un violent coup de poing sur le bras du fauteuil et fait un geste définitif.
Son bras droit magnétise le front. Elle s’endort. Mr Flournoy lui met la main sur le front en prononçant Ésenale, et nous obtenons la traduction du martien.
Puis Mlle prononce le refrain que nous connaissons bien : « Il est parti Ésenale, bientôt il reviendra… » mais qu’elle termine, cette fois, par : « Bientôt il écrira ! »
Mr Flournoy
« Nous osons espérer, dit Mr Camille Flammarion au commencement de son bel ouvrage sur le planète Mars, que le jour viendra où des moyens inconnus de notre science actuelle apporteront des témoignages directs de l’existence des habitants des autres mondes, et même, sans doute, nous mettrons en communication avec ces frères de l’espace. » À la dernière page de son livre, il revient sur la même idée : « Quelles merveilles la science de l’avenir ne réserve-t-elle pas à nos successeurs, et qui oserait même affirmer que l’humanité martienne et l’humanité terrestre n’entreront pas un jour en communication l’une avec l’autre ! »
Cette splendide perspective ne laisse pas de paraître encore un peu lointaine, même avec la télégraphie sans fil, et de fleurer presque l’utopie quand on s’en tient strictement aux conceptions courantes de nos sciences positives. Mais franchissez ces cadres étroits, élancez-vous, par exemple, vers les horizons illimités que le spiritisme ouvre à ses heureux adeptes, et aussitôt la vague espérance peut prendre corps : rien ne s’oppose plus à sa réalisation prochaine. Car, pour le spiritisme, les barrières de l’Espace ne comptent pas plus que celles du Temps. Les « portes de la distance » sont grandes ouvertes devant lui. La question des moyens est ici chose secondaire, on n’a que l’embarras du choix. Que ce soit par intuition, par clairvoyance ou télépathie, par dédoublement ou encore par vision dans l’Astral, par réincarnation, par les « fluides » ou par tel autre procédé – il n’importe. Le point essentiel, c’est qu’aucune objection sérieuse ne saurait être opposée à la possibilité de cette communication. Le tout est de trouver un sujet qui ait des facultés psychiques suffisantes.
Telles sont, à mon avis, les considérations qui ont inspiré au subliminal d’Élise Müller la première idée de son roman martien. Il est, du reste, fort possible que les premiers germes de ce roman remontent encore plus haut que la médiumnité d’Élise. Tout en regardant donc comme probable qu’il plonge ses racines jusque dans l’enfance de Mlle Müller, il ne s’agit cependant pas dans le cycle martien, pas plus que dans les autres, d’un simple retour cryptomnésique ou d’une pure exhumation de résidus fossiles reparaissant au jour à la faveur du somnambulisme. C’est bien un processus actif et en pleine évolution auquel nous assistons, alimenté sans doute par de vieux éléments, mais qui les combine et les repétrit à nouveau d’une façon très originale, puisqu’il aboutit entre autres, à la création d’une langue inédite. Il serait intéressant de suivre pas à pas les phases de cette élaboration ; comme toujours, malheureusement, elle se dérobe dans l’obscurité de la subconscience et nous n’en saisirons jamais que quelques apparitions dont il faudra se satisfaire.
Tout en maintenant que mes déductions me paraissent rigoureuses, je dois bien convenir que la science n’est pas infaillible et qu’un petit voyage sur Mars pourra seul lever tous mes doutes sur ce qui s’y passe. Avec Mlle Müller, nous nous quittâmes ainsi bons amis, mais cette conversation me laissa l’impression très nette de la complète inutilité de mes efforts à lui faire partager les conceptions de la psychologie subliminale. Ce qui, d’ailleurs, ne me surprend ni ne m’afflige, car, à son point de vue, il vaut peut-être mieux qu’il en soit ainsi.
DISPARITION DE FLOURNOY
SEANCE DU 27 AOÛT 1897
Mr Lemaître :
Séance du 22 août 1897. Mlle éprouve un besoin de rire irrésistible. Le temps est orageux. Un coup de tonnerre amène chez elledes mouvements convulsifs des mains et des jambes. Elle se frotte et se tord les mains, penche la tête sur le dossier de la chaise et gémit.
Tout à coup, sans transition et en regardant du côté de la fenêtre vers le piano, elle crie.
Mlle : Oh ! regardez, c’est tout rouge. Est-ce déjà l’heure d’aller se coucher ? Monsieur Lemaître, vous êtes là ! Est-ce que vous voyez comme c’est rouge ? Je vois Astané qui est dans ce rouge, je ne vois que sa tête et le bout de ses doigts, il n’a pas de robe. Et puis voici l’autre avec lui. Ils ont tous les deux au bout des doigts, des lettres sur un « bout de papier ». Vite donnez-moi de quoi écrire !
Je lui remets du papier et un crayon. Elle le place rapidement entre l’index et le médius puis écrit de gauche à droite en regardant attentivement son modèle fictif vers la fenêtre, avant chaque lettre.
Mlle : Voilà celui-ci ! À présent celui-là. Le 1er c’est Astané, le 2e Ésenale. Oh ! en voilà trois. C’est difficile d’écrire ça vous savez ! Voilà ! Astané en tient un autre sur la tête. Ne dites rien ; il approche, il est là !
Oh ! c’est dommage, c’est tout sur une ligne et je n’ai plus de place !
Comme il fait sombre chez vous. Le soleil est tout à fait couché. Plus personne. Plus rien !
À son réveil, elle parle de la photographie qui se trouve en face et de beaucoup d’autres choses, sans prendre aucune information sur la séance qui vient d’avoir lieu. À souper, elle est poursuivie par une bonne odeur de quelque chose ayant rapport à la fleur d’oranger, et ne comprend pas d’où provient cette odeur.
SEANCE DU 20 FEVRIER 1896
Mr Lemaître :
Séance du 20 février 1898. Mouvements de la table pour réclamer le silence. Mlle a froid aux mains particulièrement la gauche qu’elle déclare plus froide que la droite. Elle se lève. Sur l’épiderme de la main droite, il y a comme une légion de puces qui piquent et une dizaine qui sucent le sang. Elle se frotte énergiquement le dos de la main.
La table retombe en place. Démangeaison de la tempe gauche qu’elle frotte de la main gauche. Pas d’allochirie. Démangeaison à l’angle du nez, elle se frotte, elle voit trouble. Elle croise les mains sur sa ceinture et entend un bourdonnement. C’est comme un gros bourdon qui serait dans l’oreille gauche.
Elle sent sa gorge très serrée comme quand on se retient de pleurer mais elle n’a pas envie de pleurer. Le bourdonnement reste confus, plutôt grave. Elle voit rouge, comme des vapeurs rougeâtres.
Elle se tourne à gauche : Ici c’est sombre et là-bas lumineux. Elle ne nous voit plus mais nous entend. Les yeux ouverts, elle regarde à gauche et essaie de distinguer une voix. Elle s’imagine que nous bavardons.
Mlle : On me parle une drôle de langue, pas nette, ce n’est pas à moi qu’on parle. Taisez-vous ! je n’entends rien avec ce bruit. Vous causerez après la séance. Tout votre bavardage est inutile !
Elle regarde à gauche où elle voit une haute montagne rose, avec une pente, sur laquelle on distingue un grand champ de petites fleurs comme des cloches violettes. Elle entend un bruit de tic-tac avec un mouvement de pendule. Ça devient plus fort. Ce sont ensuite trois petites maisons qui roulent, comme des kiosques chinois qui glissent sur des petites boules.
Mlle : Le voilà tout près. Il y a des petites fenêtres ovales enfoncées en dedans, comme des lunettes. Il y a deux hommes dans ce kiosque, un que je connais, à la robe jaune serin ; celui qui est avec lui, je ne l’ai jamais vu, mais ces cheveux noirs et ses traits ne me sont pas inconnus. Ils causent, leurs lèvres remuent, mais j’entends mal. Paniné évaï kirimé – paniné évaï kirimé – zé miza ami grini – ké chée émèche rès pazé.
Écoutez le balancement. Tic-tac ! La maison remue et glisse comme un train sur des rails. Joli ce coin du monde, ces champs, ces fleurs ! Ça va vite, ils ont tourné cette grande montagne et je ne les vois plus. Voilà la montagne qui s’ouvre, que c’est beau ! Les pierres sont roses et il fait chaud. Dans le fond, se trouvent des maisons blanches posées sur des grillages. Elles ne touchent pas le sol. Les grillages sont couleur d’or. C’est étrange, en haut le ciel est rose.
Me voilà de l’autre côté ! Écoutez, un murmure de voix : Pouzé tès luné soumini. Arvâ ii cen. zé primi ti ché chiré. Kiz pavi luné. Ils descendent de la petite maison. Ils sont dans le chemin. Voilà un jeune homme qui sort. On dirait qu’il a la tête bandée, il a une robe grise et au lieu d’un chapeau plat c’est un bonnet de nuit. Il a des cheveux à droite mais pas à gauche. Il arrive au-devant des deux hommes ; je vous montrerai comment ils se saluent. Le jeune homme prend les mains de l’autre, ils se frottent la tête puis ils s’enlacent les bras. Taisez-vous, il parle au jeune homme : Saïné êzi chiré izê linéï kizé pavi. Êzi mané ni êzé modé tiziné êzi chiré tiziné ézi mané. cé êvé adi anâ. J’entends bien qu’ils causent, mais c’est tellement trouble. J’ai mal au cœur. Vous êtes toujours là ?
L’index gauche dicte : « Endors là ! » et bientôt, en prononçant Ésenale, nous obtenons la traduction du martien.
Mlle : Paminé, sois prudent – le miza va soulever – que ta main se retire. Pouzé, ce jour riant – Arva si beau – le revoir de ton fils – quel heureux jour ! Saïné, mon fils – enfin au début – quelle joie – mon père et ma mère – demain mon fils, mon père – je suis bien maintenant.
SEANCES DU 18 MARS AU 27 MAI 1900
Mr Lemaître
Les séances sont suspendues à cause de la maladie de Mme Müller, puis de la mort de Mr Müller le 27 mars 1898 et enfin de la maladie de Mlle Müller elle-même.
Le 18 mars 1900, je fais une visite à Mlle Müller à 11h30.Il y a environ deux mois qu’elle a eu la vision d’une boule laiteuse où se trouvaient des caractères ultra-martiens qu’elle n’a pas retenus. Mercredi dernier, vers 5h30 du matin, un personnage lui est apparu et lui a montré des insectes ultra-martiens qu’elle est en train de dessiner et de peindre grandeur nature. Il y en avait un nombre prodigieux. Immédiatement après, comme elle lui parlait des caractères ultra-martiens dont elle n’avait pas gardé le souvenir, ce personnage lui a répondu : « Tu les verras dans quinze jours ! Mais tu ne t’attarderas pas sur cette planète qui est un monde inférieur. Tu en verras une autre plus avancée. Et pour traduire à l’avenir du martien ou toute autre langue, tu n’auras pas besoin d’invoquer Astané, ni Ramié! »
Vendredi 30 mars 1900, visite à Mlle Müller. Tous ces jours, elle s’attendait à écrire la langue ultra-martienne. Elle a revu plusieurs fois la boule et les caractères ultra-martiens, mais sans pouvoir en retenir plus de trois ou quatre, qu’elle n’a pas jugé bon de noter. Mardi matin elle a vu une troisième écriture, très différente de l’ultra-martienne qui lui a paru consister en mots très courts et dans le fait qu’elle se lisait verticalement. Elle a exprimé sa crainte de ne plus revoir l’écriture ultra-martienne et expliqué qu’elle voulait terminer les dessins ultra-martiens dont la collection augmente sans cesse. Elle me montre avec ravissement l’aquarelle qu’elle a terminée pour Mr Flournoy et me dit que s’il reproduit les dessins ultra-martiens, je devrai lui prêter ceux qu’elle me donne. Ce dont promesse lui est faite. Elle s’attendait à ce que ces dessins puissent figurer dans la nouvelle édition de « Des Indes à la planète Mars », ce qui explique qu’elle y travaille avec autant d’ardeur. Elle aurait voulu probablement, dans le même but, de l’écriture ultra-martienne. Elle a ce désir d’offrir le plus et le plus vite possible ce qu’elle juge si intéressant.
Vendredi 6 avril 1900, visite à Mlle. Elle a le cœur gros, elle a reçu quatre revues dont trois où l’on se moque d’elle et une où l’on dit des sottises de Mr Flournoy. Tout cela a été brûlé par sa mère. Mardi matin elle a eu la vision d’une peinture où se trouve la bête « qui a quelque chose d’humain dans la figure ». Cette bête est de la taille d’un petit chien. Peu de jours avant, elle a vu un paysage martien, une rue dont les maisons n’étaient pas séparées comme chez nous. Elle essaiera d’en faire le croquis.
18 mai 1900, visite à Mlle qui a entendu et vu des caractères ultra-martiens mais n’a pas pu les transcrire. Le matin du 18 elle a revu les caractères. Le soir du 19 elle les entend et les écrit en caractères français et, le 20 au matin, elle écrit de l’ultra-martien.
27 mai 1900. Séance avec Mlle Müller chez Mr Flournoy. Traduction des textes et douze caractères ultra-martiens nouveaux. Elle en donnera encore une fois, ce sera la dernière. Puis nous passerons à Uranus et à la langue de cette planète beaucoup plus avancée.
SEANCES DU 1er JUILLET 1900
Mr Lemaître :
1er juillet 1900, séance à la maison. Mlle ne veut pas de sa chaise et ne se souvient pas qu’elle a l’habitude de s’y asseoir.
Mlle : On a craché sur ce fauteuil, un oiseau a passé par là et je ne tiens pas à toucher cette table non plus.
Mlle est mal à l’aise. Confusion croissante. L’index gauche nous dicte la phrase suivante : « Dans dix jours à peu près, il y aura vision et écriture uraniennes. Je regrette que vous partiez ; vous auriez assisté à cet épanouissement superbe, unique de l’écriture d’Uranus et de tout ce qui la concerne. »
Il y aura près de Mlle, Ramié, Astané, Ésenale pour traduire et un Uranien dont on aura le nom plus tard. Il y aura traduction de l’uranien au martien et en français.
Soudain, violent coup de poing.
Mlle : Adieu !