Des Indes à la planète Mars

From India to the Mars Planet

Film

Presse

Le Monde

Isabelle Regnier

1 avril 2008

Sans se situer à proprement parler dans la veine expérimentale du cinéma, Des Indes à la planète Mars relève incontestablement de l’expérimentation sur ses puissances d’évocation. Co-réalisé par Christian Merlhiot et Matthieu Orléan, cet étonnant documentaire se déroule presque intégralement à l’intérieur d’un studio d’enregistrement radiophonique, autour d’une table où sont assis quatre acteurs (Mireille Perrier, Edith Scob, Boris Alestchenkoff et Jean-Christophe Bouvet), et derrière laquelle un cinquième se tient debout (Jacques Bonnaffé). A travers l’exercice de lecture collective à laquelle ils se livrent en ce lieu neutre, le film nous conduit pourtant dans un espace imaginaire envoûtant.

Le texte lu est tiré du compte rendu d’une série de séances de spiritisme qui ont eu lieu entre 1894 et 1897 et au cours desquelles une médium, Catherine-Elise Müller, a vécu, devant témoins, des expériences de métempsychose (réincarnation dans un corps humain, animal ou un végétal) qui l’ont conduite à voyager mentalement aux Indes, et sur la planète Mars. Observée et questionnée pendant ces séances par plusieurs personnes, dont le professeur de psychologie Théodore Flournoy, elle a transmis ses visions, et communiqué à travers elles des bribes de langues imaginaires censées être de l’hindou et du martien.
Filmée dans des plans-séquences glissants, quasi hypnotiques, la parole s’autonomise peu à peu, au point de faire oublier le studio d’enregistrement, et de transformer, insensiblement, les acteurs-lecteurs en de véritables personnages. L’intensité de l’expérience médiumnique représentée, la poétique des langues inventées, propulsent le film dans un ailleurs bizarre et font naître, chez le spectateur, tout un flot d’images mentales qui dialoguent avec le récit. En contre-point, de courtes séquences muettes filmées en Inde s’intercalent entre les séances tournées dans le studio, et achèvent de nimber le film d’un parfum de mystère.

Les Inrock

Vincent Ostria

2 avril 2008

Cela s’inspire de séances de spiritisme lors desquelles Elise Müller, médium suisse de la fin du XIXe siècle, inventa des univers et des langues. Tout un espace imaginaire se déploie. On commerce avec les esprits et voyage en pensée. Dada, surréalisme, psychanalyse sont en germe dans ces récits extravagants dits avec componction par Mireille Perrier, Jacques Bonnaffé et d’autres comédiens dans un studio de France Culture. Mais du coup, on n’a ni le repère historique (époque et contexte des séances), ni l’illustration de ces délires. Bercé par les mouvements pendulaires de la caméra, perturbé par la présence des comédiens face aux micros, on tend à décrocher, à dissocier ce qu’on voit et ce qu’on entend. Il y a en contrepoint quelques rares intermèdes filmés en Inde avec Mireille Perrier, devant des palais, dans des palaces. Plans splendides, légers, voire éthérés, que le spectre d’India Song traverse très fugitivement ; mais leur évanescence, leur insignifiance au sens littéral, opposées à la matérialité oppressante du studio d’enregistrement, ont pour effet de redoubler le déphasage du spectateur.

L’Humanité

Vincent Ostria

2 avril 2008

Microclimat. Pour fêter ses dix ans, l’association Pointligneplan, fer de lance de l’avant-garde, sort une série de longs et moyens métrages. Dont cet étrange essai, au départ une émission de radio, plus précisément un atelier de création radiophonique de France Culture, qui fut filmé dans un studio d’enregistrement. On voit des comédiens réputés (comme Mireille Perrier et Jacques Bonnaffé) évoquer la figure d’Elise Müller, médium helvète de la fin du XIXe siècle qui, lors de séances de spiritisme, décrivait en détail des mondes imaginaires, l’un martien, l’autre indien, dont elle avait également inventé les langues. Toute la cocasserie du projet provient de la vision des comédiens énonçant posément des concepts délirants ; notamment Mireille Perrier qui par moments s’exprime dans un charabia surréel. Pour sortir du jansénisme de la mise en scène, on se transporte en Inde pour quelques plans exotiques et alanguis dans des palais et des palaces où Mireille Perrier, cette fois seule, soliloque et devise… Une belle proposition, qui est un peu au cinéma de fiction ce que les esquisses sont à la grande peinture. Tout le charme de l’oeuvre provient de son aspect ébauché…

A voir à lire

Virgile Dumez

31 mars 2008

Ce film expérimental sur le spiritisme est également un formidable moyen de pénétrer le processus d’incarnation des personnages par des acteurs. Parfois hermétique, mais envoûtant.

En cette fin du XIXème siècle français, les intellectuels sont de plus en plus séduits par les théories positivistes d’Auguste Comte et par le scientisme. Persuadés que d’ici quelques années les avancées scientifiques permettraient d’élucider tous les mystères de la vie, ils devinrent souvent dogmatiques. En réaction, bon nombre d’artistes, de religieux et de philosophes réhabilitèrent vers 1890 la notion d’âme, préfigurant à la fois le renouveau spiritualiste du début du XXème siècle, ainsi que les recherches psychanalytiques de Sigmund Freud sur l’inconscient. La mode est alors aux séances de spiritisme auxquels participent d’éminents artistes tels que l’écrivain Huysmans. A partir du compte rendu de plusieurs soirées organisées par le psychologue Flournoy, nous faisons donc la connaissance avec Elise Müller, médium qui se dit en contact avec Mars. A travers la lecture des rapports par des comédiens assis autour d’une table, le spectateur est convié à découvrir cette période par le biais des mots.
Sans jamais porter de jugement sur la valeur scientifique du spiritisme, Christian Merlhiot laisse à chacun la possibilité d’y croire ou de penser à une supercherie. Le but réel du cinéaste est de positionner la parole au centre même de son dispositif formel. A l’aide d’une distanciation brechtienne, nous sommes en présence de comédiens qui lisent un rapport durant plus d’une heure. Pourtant, peu à peu, ces derniers oublient le texte écrit pour se l’approprier totalement au point de se confondre avec leurs personnages. Cette étude minutieuse du travail de l’acteur s’avère passionnante, d’autant qu’elle est menée de main de maître par une Mireille Perrier impeccable et un Jacques Bonaffé à la voix chaude et posée. Le tout est entrecoupé par des séquences indiennes dépourvues de paroles et dotées d’une musique planante et apaisante, apportant ainsi une touche de sérénité donnant toute sa respiration au métrage. Parfois à la lisière du film new age, Des Indes à la planète Mars est une oeuvre ambitieuse, très cérébrale tout en étant sensuelle, essayant de retrouver le pouvoir des mots, comme lors des veillées paysannes des siècles passés. Ceux qui feront l’effort d’entrer dans ce jeu formel risquent fort d’en sortir sereins.

Critikat

Arnaud Hée

1 avril 2008

Des acteurs-lecteurs réunis dans un studio d’enregistrement radiophonique rencontrent un texte constitué à partir d’un compte-rendu de séances de spiritisme menées à Genève à la fin du XIXe siècle. Lecture ? Jeu ? Performance ? Fiction ? Documentaire ? Réponse : tout à la fois. Et une envoûtante expérience cinématographique, de comédiens et de spectateurs, à condition de bien vouloir s’y laisser mener.

C’est le plasticien Raymond Hains qui, en 2001, a mis Matthieu Orléan sur la piste d’Élise Müller. À la fin du XIXe siècle, cette dernière donne des séances de spiritisme à Genève auxquelles assiste, intrigué, le psychologue et universitaire Théodore Flournoy. La medium développe deux trajectoires qui donnent aussi lieu à l’invention de deux langues imaginaires : l’une indienne et l’autre martienne. En 1900, Flournoy publie Des Indes à la planète Mars, dont le contenu analytique met en place de quelques concepts pré-psychanalytiques. Des comptes-rendus tenus par un collaborateur retracent chronologiquement et précisément les séances, c’est ce dernier texte qui sert de support au film. La parole d’Élise Müller n’est ici pas recouverte par celle du professeur : elle apparaît brute. À partir d’un tel matériau, il restait à mettre en place le dispositif. Après bien des tâtonnements, le choix des réalisateurs fut « d’éviter l’effet pervers d’une adaptation historique. » S’impose peu à peu l’idée d’un enregistrement à la radio doublé d’une documentation filmée des acteurs au travail. On devine combien le medium radiophonique, par son essence ubiquiste et ses ondes invisibles, entre en résonance avec ce propos imprégné de métempsycose, où un corps en anime d’autres en même temps qu’il l’est par eux.
L’image des acteurs-lecteurs, précédée par le texte et la voix, tarde un peu et on les découvre finalement disposés autour d’une table d’enregistrement. En retrait, derrière un pupitre, se trouve Auguste Lemaître (Jacques Bonnaffé), l’auteur des comptes-rendus. La caméra décrit de lents travellings, s’arrête parfois sur les personnages, dont Élise Müller (Mireille Perrier). Les différentes séances seront rythmées par des fondus au noir. Il faut bien avouer que le dispositif déstabilise mais la trajectoire du spectateur recoupe ici celle des personnages-comédiens. L’asservissement au texte s’estompe, l’incarnation et le jeu prennent place : regards, têtes relevées, mise en place d’une gestuelle de plus en plus affirmée. Rapidement s’installe une étrange tension entre ce texte du XIXe siècle relayé par des comédiens en quelque sorte nus, sans costume ni décor. Une formidable ambiguïté s’installe dans et entre ces corps statiques, sorte de présence mediumnique, qui n’exécutent pas ce que le texte dit : doigts répondant aux questions, torsions, contacts des mains, sommeil, bras « libres » ou « captifs », réveil. D’impossibles narrations et des langues inconnues surgissent et s’inventent, des êtres soumis au bûcher en Inde, puis un habitant de Mars.
Matthieu Orléan et Christian Merlhiot font régulièrement éclater le dispositif statique. L’enveloppe de Mireille Perrier-Élise Müller est à cinq reprises mise en présence de l’Inde, qu’elle occupe par ailleurs régulièrement en esprit. Ces scènes intercalées ont été tournées sur le mode de l’expérience plus que sur celui d’un séjour de travail, ces moments indiens s’avèrent aussi plus silencieux, davantage axés sur la gestuelle et la grâce de la formidable comédienne. Au fur et à mesure, la plasticité de ces séquences s’affirme, notamment lors d’une séance d’écriture automatique dans une pièce baignée de lumière où des rideaux flottent au vent. Grandit aussi la présence d’Élise Müller en Mireille Perrier. Qui possède qui ? Qui est le medium de qui ? Alors qu’elle apparaît seule dans le studio, la spirite semble maladivement emprisonnée dans son imaginaire. Mais le plus beau des hommages lui est offert dans le somptueux dernier plan porté par une discrète guitare post-rock : un corps en liberté sur une plage, un moment de fusion sereine entre une actrice et son personnage.

CinemaFrance.com

Florent Boucheron

31 mars 2008

Du mysticisme au surréalisme … euh, aucune information complémentaire ?

Des Indes à la Planète Mars n’est pas un film d’histoire au sens propre, Des Indes à la planète Mars n’est pas non plus tout à fait un film de Science-fiction. Un film expérimental alors ? Une fiction ? Un documentaire ? Ce que l’on peut dire c’est que le film est sans contexte une expérience unique, un objet visuel non identifié et pas si visuel que ça en fait. Etrange, Christian Merlhiot et surtout Mathieu Orléan viennent des arts plastiques, ils ont très largement étudié le cinéma, ils l’ont écrit et en braves théoriciens, ils s’essayent au long-métrage.
Autant le dire tout de suite, Des Indes à la planète Mars n’est pas un film facile, pas le genre à caresser le spectateur dans le sens du poil. Rustre, austère, froid et lancinant, le film propose une lecture pure et simple des notes prises par Catherine-Elise Müller, médium de profession entre 1894 en 1906 suite aux séances de spiritisme qu’elle organisait. Des Indes à la planète Mars, c’est quatre personnages qui lisent leur texte face caméra, tête baissée. Il condense « les meilleurs épisodes » pour tenter de comprendre comment à force d’invoquer les esprits, Mademoiselle Müller a réussi à inventer une langue imaginaire : entre sanskrit, langue du sous-continent indien et langue extra-terrestre. Et c’est très sérieux là, Mademoiselle Muller s’appuie sur les bases d’un langage qu’elle ne connaît pas.
Un projet ambitieux pour une mise en scène qui l’est moins. Pendant plus d’une heure, les acteurs lisent un texte sur un ton plus monotone tu meurs, le tout tourné dans un studio radiophonique dont on ne sort qu’à trois ou quatre reprises ; pour autant de séquence silencieuse, le studio était finalement le lieu idéal pour dire : la meilleure manière de voir le film, c’est de fermer les yeux ! Véridique, les dialogues deviendront plus clairs, et les rouvrir pendant les silences permet de ne rien rater de la chose. Parce que malgré tout, les dialogues barrés au possible sont des chefs d’œuvre de mysticisme, de spiritualisme, de rêverie, de fantasme, de somnambulisme incompréhensible. On vous l’avait dit, les réalisateurs ne mâchent pas le travail en rendant un produit à la limite valable au stade : « Monsieur Bonnafé, voici le texte de référence, bien sur il faut envisager de nombreuses coupes, une réécriture contemporaine des dialogues et 500 dollars d’effets spéciaux ». Ils garantissent le voyage du film tel un songe qui s’immergerait dans l’inconscient de Mademoiselle, et créerait bizarrement un lien incroyable entre l’Inde et Mars.
Dernier plan du film, l’immense plage de Madras se trouve à la croisée des langages, à la croisée des espaces, à la croisée du temps passé et du futur. Finalement, Des Indes à la Planète Mars est un film d’introduction à l’Age d’Or du surréalisme, il utilise aussi ce qui deviendra l’écriture systématique des dadaïstes et autres Luis Bunuel. C’est aussi un documentaire qui pourrait faire figure d’objet d’étude pour les adeptes de la médiumnité (la voyance), peut-être. On vous aura prévenu et il faut vraiment le vouloir, parce bien qu’étant un tant soit peu intéressant, Des Indes à la Planète Mars n’en reste pas moins extrêmement difficile d’approche. Même les amateurs de cinéma expérimental pourraient ne pas y trouver leur compte.

Comme au Cinema

Florent Boucheron

26 mars 2008

Objet Visuel Non Identifié

Des Indes à la planète Mars, l’histoire d’un voyage transcendantal entre deux espaces que tout oppose rejoints par la grandeur du langage. Mademoiselle Catherine-Elise Müller est médium renommée, dans les années 1890. Elle organise des séances de spiritisme au bout desquelles elle invente une langue imaginaire à double inspiration, indienne et martienne. Le résultat est mystique.
Le film s’intéresse au compte-rendu écrit par Mademoiselle à la suite de ses séances. Mis en scène à l’intérieur d’un studio radiophonique moderne à l’acoustique neutralement ahurissante, Des Indes à la planète Mars – et son côté des chiffres et des lettres – agit comme une berceuse surréaliste et envoûtante. La caméra lancinante et contemplative navigue entre somnambulisme, rêverie, fantasme. Un Ovni caractérisé par un travelling constant, sans heurt qui narre ce qui aurait été l’âge d’or de la médiumnité. Médecins et docteurs s’y intéressent, la méthode employée devient même un modèle pour les futurs dadaïstes accomplis dans l’écriture systématique.
Une envolée spirituelle digne d’une vraie expérience à la hauteur d’une reposante séance de yoga, que l’on peut également apprécier les yeux fermés ! Si, c’est vrai.
Les six ans sur lesquels s’étalent les séances de Mademoiselle sont compilés en un peu plus d’une heure. Ils expriment avec d’autant plus de force la folie progressive qui s’empare de la somnambule hallucinée, de plus en plus seule et de plus en plus marquée physiquement. Les rares plans isolés qui s’échappent du studio renforcent cette impression, jusqu’au plan final : Madras et son immense plage, un non-espace qui perturbe aussi toute temporalité et vient se confondre avec Mars. Mademoiselle est parvenu à ses fins, inventer une langue imaginaire.
Complètement mystique.

Cinemapolis

Baptiste Lusson

20 avril 2008

Un univers étrange et fascinant que celui de Catherine-Elise Müller, jeune femme de 32 ans, qui à la fin du XIXe siècle fut l’objet d’une fascination. Elle est médium, il est psychologue à la faculté des Sciences de Genève. Des Indes à la planète Mars est le titre du livre qu’il publia au début du XXe siècle sur cette femme.

Catherine-Elise Müller serait aujourd’hui totalement ignorée ou marginalisée : imaginez une femme qui, au milieu de séances de spiritisme, se met à inventer un langage ? Suite à sa rencontre avec Théodore Flournoy, le psychologue, Catherine-Elise change sa médiumnité visuelle, auditive et « typtologique » (par coups frappés), pour entrer dans des transes somnambuliques dont elle ne se rappelle rien. Elle écrit alors de grands cycles (des histoires) où elle prend des personnalités différentes : il y a le cycle martien, ultramartien et royal. Elle créait à cette occasion deux langues, une d’intonation orientale et l’autre martienne.
Christian Merlhiot et Mathieu Orléan ne sont pas des auteurs de fiction, à la différence du médium, mais ils sont passionnés par les langues, leur invention, ainsi que par les mystificateurs. Le sujet est idéal, spiritisme, amour, invention, voyages… beaucoup d’ingrédients pour réaliser un film. Cependant le récit que développent les deux cinéastes ne se fonde pas sur les écrits de Théodore Flournoy mais sur les comptes-rendus de son assistant Auguste Lemaitre, car ceux-ci retracent parfaitement la chronologie de l’apparition des inventions (histoires et langues) d’Elise Müller.
Le film privilégie la parole plutôt que l’image, aucune scène d’époque n’est reconstituée. Les acteurs sont assis ou debout devant leur micro, lisant leurs textes. Ainsi, le spectateur peut écouter relativement librement les mots et leur musique. À la question du choix d’un plateau radio pour le tournage, Christian Merlhiot répond que « la radio, le studio, l’immatérialité des voix livrées aux ondes hertziennes » se sont imposés.
Ainsi, c’est un documentaire et non une fiction que l’on suit durant 80 minutes, un documentaire remontant le temps, où s’expriment des acteurs, notamment Jacques Bonnaffé dont la voix amplifie chaque description et Mireille Perrier en Elise. Car le film semble être un documentaire sur le travail des acteurs enfermés dans un studio lors d’un enregistrement. Comme des fenêtres ouvertes sur l’autre monde, celui du rêve d’Elise, nous nous retrouvons en Inde, au bord d’un bassin, ou sur une plage, avec une femme, Mireille Perrier, dont la voix habite le film.
Effet de style ou réel intérêt cinématographique, difficile à dire. Le film est sans conteste une œuvre à part, contemplative, mais parfois longue, qui s’étire comme une œuvre naïve n’arrivant pas vraiment à trouver les mots justes.

Excessif

Nicolas Houguet

1 avril 2008

Il est des films qui sont des expériences. Ils laissent perplexes, bousculent les habitudes de spectateurs, incitent à adopter une autre manière de vivre et de ressentir un film. Evidemment il faut le vouloir. Parfois la perplexité demeure, le sentiment de ne pas partager entièrement le parti pris choisi par les metteurs en scène. Le risque du cinéma d’art et d’essai est toujours d’exclure, de s’adresser à une petite bulle et de garder un peu de son mystère, de demeurer hermétique aux autres. Il est toujours assez délicat de surmonter la surprise, le contre-pied et de pénétrer cette exigence. Parfois, on y arrive, comme c’est le cas avec les magnifiques expérimentations fulgurantes de quelqu’un comme Derek Jarman. Parfois l’immersion est moins évidente comme c’est le cas avec Des Indes à la planète Mars.
Il s’agit d’un récit austère et précis de séances de spiritisme à la toute fin du XIXème siècle. Flournoy, un professeur de psychologie genevois s’intéresse à une medium à la réputation grandissante, Elisa Muller. Pendant des années il va organiser des séances régulières avec cette « mademoiselle » et découvrir peu à peu les trésors de son inconscient. Cela se transforme peu à peu en voyage au coeur de l’imagination puisque cette femme évoque sa vision en Inde (et livrant pour l’occasion un langage orientalisant) puis apprend le langage des martiens, qu’elle s’emploie à traduire.
L’anecdote est riche et évocatrice, on se prend à rêver d’un film qui, visuellement suive formellement la fantaisie qu’elle porte en elle. Or c’est tout le contraire qui advient. Les acteurs sont filmés dans un studio de radio, les micros devant eux, lisant les textes. La caméra tourne autour d’eux, s’attarde sur leur visage. On a l’impression d’assister à une séance de travail, une lecture filmée. C’est assez déconcertant. Les envies que le contexte avait fait naître s’estompent, les attentes sont déçues, on est obligé d’adopter ce cadre austère et sans chaleur. Est-ce encore du cinéma, un documentaire, une émission de France Culture ? Un peu agacé par ce parti pris déroutant, on peine d’abord à s’accrocher aux mots. Ce qui déroute c’est l’absence de mise en scène, de décor, on doit tout imaginer à partir de rien. Cela rappelle de loin les réserves soulevées par le Dogville de Lars Von Trier et son aspect de théâtre filmé. Mais il s’agissait là d’un choix de mise en scène évident. Filmer une lecture, même très bonne et très investie (comme c’est le cas ici), soulève une question fondamentale: « est-ce encore un film ? ». Ce doute ne s’envole jamais, malgré des intermèdes muets et en plan fixe qui mettent l’actrice principale (Mireille Perrier) en situation, en Inde.
La forme adoptée par le film est assez paradoxale puisqu’à première vue, il parie sur l’absence de forme, la lecture fidèle et absolument minimaliste de la transcription des séances de la médium. Autrement dit, pour paraphraser Dante à l’entrée de son enfer, vous qui entrez ici, accrochez-vous. Puis peu à peu, au bout d’une dizaine de minutes à se demander si on ne s’est pas trompé de salle ou s’il ne s’agit pas d’un bizutage en règle, lorsqu’on surmonte nos résistances et nos préjugés, nos automatismes, on finit par se laisser porter par la voix des acteurs, par les relations étranges et fantaisistes de ces séances très en vogue au XIXème. Cela devient un film porté par ses acteurs, par Mireille Perrier en particulier qui compose avec sobriété et conviction et juste par la voix un personnage assez fascinant (celui de « mademoiselle » ainsi qu’elle est qualifiée tout au long des séances). Ses partenaires autour d’elle la questionnent, mais elle est véritablement le centre d’intérêt du film. On ne comprend pas tout de ses visions étranges et énigmatiques, mais elle nous attache à elle par sa voix, son visage, ses regards. Les intermèdes plus « fictionnels », ces tableaux indiens et oniriques dont elle est le centre, même s’ils s’éternisent un peu trop, rendent sa présence et sa grâce plus évidentes encore. Donc on peut se laisser prendre à cette chronique pour peu qu’on soit patient, concentré. On peut tout du moins la comprendre.
Cependant, le cadre demeure bien aride. On aimerait quitter ce studio, avoir une traduction plus directe et plus visuelle des visions de « Mademoiselle », le sentiment de l’hypothèse de travail demeure, une sorte de promesse qui n’est jamais vraiment tenue, on s’en tient aux prémices, au potentiel cinématographique de cet étrange destin. La perplexité demeure car la frustration domine. On aimerait entrer dans cette histoire, s’y investir totalement, s’y abandonner, ainsi que le jeu des acteurs nous y invite. Cependant le retour permanent à ce studio d’enregistrement nous maintient à distance en permanence, comme si le cadre faisait barrage à la narration. C’est une variation psychanalytique intéressante, mais il pêche sans doute par excès d’austérité, par cette volonté de coller au texte et rien qu’à lui, s’en tenir à la transcription sur le papier, à sa belle lecture par des bons acteurs. Cependant, cela ne trouve pas vraiment de traduction à l’image. Finalement, malgré l’ambition et l’audace du projet, on ressort avec la même perplexité que lorsqu’on y est entré. Parfois, il arrive qu’un film agisse sur vous, à retardement, vous le portez en vous pendant un moment, son influence grandit et la perplexité cède enfin devant l’émerveillement. Mais ce n’est pas le cas ici. Le registre est toujours celui du témoignage, de l’exposition de ces séances (malgré des intermèdes plus irréels), cela n’est certainement pas dénué d’intérêt. Mais ça ne devient pas pour autant un moment de cinéma comme l’expérimentation hors des formes traditionnelles peut en engendrer. On reste dans le cadre assez froid d’une lecture filmée.

Des Indes à la planète Mars

From India to the Mars Planet