Le procès d’Oscar Wilde

The trial of Oscar Wilde

Film

Presse

Le Monde

Isabelle Regnier

6 avril 2010

« Le Procès d’Oscar Wilde » : la mise en scène austère d’une injustice
En 1895, Oscar Wilde fut condamné pour outrage à la pudeur et homosexualité à deux ans de travaux forcés. Ruiné, renié par sa famille, il s’exila ensuite en France, ne publia plus jamais un texte sous son nom (De Profundis, la lettre écrite à son amant Lord Alfred Douglas, pendant sa dernière année d’emprisonnement, ne fut éditée qu’après sa mort). Il s’investit alors pour la première fois de son existence dans la défense de ce que l’on n’appelait pas encore la cause homosexuelle.
Partir de la retranscription du procès et la mettre en scène au cinéma comme s’il s’agissait de la dernière pièce de théâtre écrite par l’auteur du Portrait de Dorian Gray, dans laquelle il aurait tenu le rôle principal, telle est la belle idée qui a inspiré ce film à Christian Merlhiot. A la reconstitution historique, qui eût cantonné l’intrigue à un passé révolu, le cinéaste a préféré le déplacement géographique, la dissémination linguistique, dans une démarche qui rappelle celle du cinéma de Marguerite Duras. Merlhiot situe son film au présent, mais loin de l’Europe, dans un pays méditerranéen indéterminé, qui évoque fortement le Liban.
Assis sur la terrasse d’une belle demeure d’architecte, un homme lit les prémices du procès d’Oscar Wilde à haute voix, les traduit, au fur et à mesure, en arabe. Tout commence par les accusations publiques portées par le marquis de Queensberry, père de Lord Alfred Douglas, qui accuse Wilde de « poser au sodomite ». Queensberry n’aura pas besoin d’aller au procès puisque l’écrivain, confiant dans l’immense notoriété qu’il avait à l’époque, attaquera lui-même le marquis pour diffamation.
Peu à peu, à mesure que l’on entre dans le cœur du procès, et que le soir tombe, le traducteur se transforme en acteur. Le talent de l’unique interprète du film, le Libanais Nasri Sayegh, qui incarne successivement les différents intervenants (avocats, juge et accusé) et parvient, par la seule force de sa présence, à faire exister cette scène vieille de plus d’un siècle dans les murs blancs de cette maison méditerranéenne, est pour beaucoup dans la réussite du film.
La parole est d’abord à la défense, bloc monolithique insidieux, insistant, insultant, qui s’empare de l’œuvre littéraire de Wilde pour mieux disqualifier sa vie privée, et en tirer des conclusions quant à son homosexualité, penchant qui relevait du crime dans l’Angleterre de l’époque. L’accusation intervient dans un second temps, et apparaît du même coup comme un accusé, acculé à répondre aux coups qui lui sont portés dans un combat qui semble perdu d’avance. Refusant les armes du mensonge et de la démagogie dont s’étaient servies sans vergogne ses adversaires, Oscar Wilde livre un vibrant plaidoyer pour l’art et la liberté, menant un combat héroïque contre l’ignorance et l’intolérance.
Le dispositif minimaliste mis en scène par l’auteur permet au texte de se déployer dans toute sa puissance, si bien que la distance qui séparait le spectateur de l’histoire au début se réduit, laissant les mots d’Oscar Wilde, la tragédie historique qu’ils révèlent, et la puissance politique, toujours actuelle, de leur propos, occuper tout l’espace.

Télérama

Benoît Renaudin

7 avril 2010

1895 : l’année où Oscar Wilde connaît les meilleurs et les pires moments de sa vie. Applaudi par toute l’Angleterre pour sa pièce L’Importance d’être constant, il est condamné pour homosexualité…
Aujourd’hui, seul dans une villa méditerranéenne, un traducteur libanais plonge corps et âme, le temps d’une nuit d’été, dans ce procès d’un autre siècle. Baigné d’une pénombre bleutée, il incarne, peu à peu, les différents protagonistes de l’audience… Etrange objet cinématographique, où passé et présent ne font plus qu’un, où le minimalisme de la mise en scène fait ressortir la force du propos. Par son rythme même, le film laisse le temps d’apprécier les gestes, les expressions et les silences du protagoniste. On se laisse, peu à peu, séduire…

L’Humanité

Jean Roy

7 avril 2010

Beaucoup de Straub, un peu de Duras
L’homosexualité au prisme d’un regard expérimental d’une belle originalité.
En 1895, alors que naît le cinéma, Oscar Wilde reçoit une carte du marquis de Queensberry l’accusant de « poser au sodomite », accusation grave dans l’Angleterre victorienne. Sûr d’être protégé par sa notoriété, l’écrivain, auréolé par le succès de De l’importance d’être constant, entame un procès en diffamation. Mal lui en prend car la conclusion en sera les deux ans de travaux forcés qui déboucheront littérairement sur la Ballade de la geôle de Reading.
Ce sont les minutes du procès qui ont inspiré ce film à Christian Merlhiot, fondateur de Pointligneplan, collectif qui situe ses enjeux au croisement des arts plastiques et du cinéma. Un comédien unique (Nasri Sayegh, d’une beauté à inspirer le désir le plus hétéro) incarne d’abord le traducteur du texte en arabe, dans le décor unique de la terrasse méditerranéenne, sur fond de mer et à flanc de colline, d’une villa somptueuse où Hitchcock aurait pu situer la Mort aux trousses, genre Ludwig Mies van der Rohe. Il va ensuite personnifier l’accusation tout de blanc vêtu, lisant d’une voix cauteleuse, nasse, piège qui se referme implacablement sur sa victime prise dans ses rets alors que la nuit est tombée. Il va enfin avoir la tâche difficile de faire entendre le point de vue de la défense.
Tout ici est d’une somptuosité faisant renvoi à Wilde. On ressent charnellement l’affinité avec l’auteur dans le raffinement, l’appartenance à une caste qui se sait (ou se croit) supérieure à la plèbe, l’homosexualité comme signe affirmé de cette différence. Le texte, très bien dit, bénéficie de tout l’apport d’une image et d’une bande-son travaillée jusqu’à l’exaspération. Pour public averti, on n’a pas dit inverti.

aVoiraLire.com

Virgile Dumez

7 avril 2010

Ce film expérimental audacieux, entièrement tourné qu’il est vers son propre dispositif formel, semble ne s’adresser à personne, au point de flirter avec une sorte d’autisme artistique.
Voici maintenant plusieurs années que Christian Merlhiot creuse un peu plus le sillon du cinéma expérimental, sans jamais faire la moindre concession envers le public. Malgré un sujet historique qui se fonde sur les notes prises lors du procès d’Oscar Wilde pour homosexualité, le réalisateur refuse toute reconstitution et préfère évoquer cet événement littéraire à travers la lecture de ces écrits par un acteur unique. Il reprend en cela le dispositif narratif de son précédent long-métrage Des Indes à la planète Mars où le vecteur de l’histoire passait déjà uniquement par la parole. Ici encore, les images ne semblent pas synchrones avec le monologue du personnage principal.
Doté d’une superbe photographie contrastée, de plans très étudiés et d’une bande sonore étrangement planante, cet objet filmique non identifié bénéficie donc d’une ambiance étonnante, sans cesse à la lisière du film fantastique. Malheureusement, malgré la durée très courte du métrage, le cinéaste éprouve à chaque seconde le degré de tolérance du spectateur en matière de lenteur. Effectivement, les notes du procès sont dites sur un ton monocorde afin sans doute d’annuler toute forme d’émotion. Dès lors, que l’on adhère ou non à ce prototype de film expérimental, c’est l’ennui qui s’invite progressivement et qui annihile toute forme de participation au processus de construction intellectuelle auquelle nous invite pourtant l’auteur. Incapable de sortir de son carcan formaliste, Christian Merlhiot semble donc ne s’adresser à personne d’autre qu’à lui-même. Déconcertant.

Excessif

Lucie Pedrola

12 janvier 2010

Une étonnante déconstruction de joute verbale. Expérimental ; impressionnant
Christian Merlhiot, par son travail et son engagement dans le collectif pointligneplan, situe son œuvre entre arts plastiques et cinéma. Son Procès d’Oscar Wilde a bien quelque chose d’expérimental, saisissant le dialogue dudit procès à travers l’unique acteur Nasri Sayegh, dans un dispositif proche du théâtre. Dans la pénombre bleutée du film, la silhouette du héros, qui semble comme dessinée au crayon, travaille sur le texte avant de l’incarner dans un dispositif étonnant qui mêle les intérêts esthétiques, moraux et artistiques. Il y a brisure entre le sujet et son expression, puisque Merlhiot choisit de ne pas donner dans la reconstitution, une brisure qui ne transcende pas le sujet mais propose une résonnance particulière, esthétique et intellectuelle.

Trouver sa voix
Étrange procès que celui auquel nous propose d’assister Christian Merhliot. Sur un fond musical qui va de Bela Bartok à Aphex Twin, il nous fait entendre les mots échangés entre Oscar Wilde et Lord Queensberry puis entre l’écrivain et l’avocat inquisiteur. L’un, puis l’autre, le dispositif est celui du monologue. D’abord, le personnage est traducteur du texte, de l’anglais vers l’arabe, avant d’emprunter les oripeaux de l’avocat ou de Wilde pour les incarner indépendamment l’un de l’autre. Merlhiot offre une forme nouvelle au texte, démarche qui peut sembler parfois limitée, quand filmer une voix (le réalisateur cadre un moment sur l’enregistreur que le personnage tient en main) n’offre aucun envoûtement, comme un parti pris trop gratuit. On émet l’hypothèse que la traduction arabe met en exergue un texte non dénué d’actualité dans certains pays où l’homosexualité est toujours condamnée. Le film ne refuse pas toute politisation. Le dispositif est également une façon de mettre en valeur la parole en tant que telle, autant le discours inquisiteur de l’avocat fonctionnant comme une démonstration, que le propos de défense de Wilde, aussi construit qu’un essai littéraire.

Valse avec Wilde
Si certains choix de mise en scène, comme faire prononcer les mots de Wilde comme s’il était dans un demi-sommeil, sont plus intrigants qu’éclairants, la puissance du film réside pour beaucoup dans une esthétique pleine d’ombres, proche du dessin, rare. On regrette que le mystère ne soit pas plus appuyé, on voudrait ne jamais voir le visage de l’acteur de trop près ou éclairé, tant le jeu de pénombres et de cadres exigus provoque l’intérêt dans la beauté. On pense aux dessins de Valse avec Bachir sans pouvoir en rapprocher le propos. La luminosité nocturne, toujours ourlée d’un bleu sombre, fait de bien des plans des vignettes, de la bande dessinée, accentue également la sensualité du personnage, principal lien entre la forme du film et le fond.
Christian Merlhiot brise la temporalité, brise le dialogue et la distinction des personnages, et propose une version et une vision étonnante d’une joute juridico-littéraire. Bien sûr, c’est déroutant, ça laisse parfois perplexe, mais Le procès d’Oscar Wilde est une incursion impressionnante et véritablement plaisante dans un cinéma qui interroge l’image, la langue, le propos, sans s’enfermer dans la contemplation.

Critikat

Mathieu Macheret

6 avril 2010

Piégé quelque part entre Straub et Duras, le dernier film de Christian Merlhiot peine à creuser une distance excitante entre son texte – magnifique – et ses images fauves. Encore un problème de dispositif.

Si l’on cherchait à argumenter en faveur de l’importance d’India Song au cinéma, on pourrait commencer par dire qu’il n’a jamais cessé de lui faire des petits. Ce Procès d’Oscar Wilde nous arrive comme le dernier d’une lignée aussi ténue que pérenne. Le film prend place dans une grande villa dépeuplée, voisine en tout de l’ambassade hantée d’India Song. On sait, depuis le film de Duras, que les grandes propriétés vides attirent à elles les fantômes et que ces apparences esseulées, errant dans les couloirs, se prêtent à toutes sortes de possessions, à toutes les projections possibles. C’est toute une époque révolue, celle des grands bals, celle du faste et des réceptions, qui revivait dans les bâtiments abandonnés de l’ambassade durassienne.
Dans la villa du Procès…, on ne croise qu’un seul corps : celui d’un traducteur qui, comprend-on, travaille à faire passer les minutes du procès d’Oscar Wilde – le véritable, l’historique – du français à la langue arabe. Il se lit le texte, le traduit à voix haute, le répète à l’aide d’un dictaphone (le dictaphone : premier outil d’un dédoublement à venir). Il se laisse progressivement habiter par l’affaire, incarnant à tour de rôle ses différents protagonistes – la défense et l’accusation, Oscar Wilde et ses juges – qui tous revivent à travers lui. On découvre, au cours de ses allées et venues, la forme et les alentours méditerranéens de cette somptueuse villa, prise dans une nuit américaine aussi étrange que violacée (violemment contrastée : ses hauts murs blancs luttant de luminosité malade avec les ténèbres environnantes).
La grande préoccupation de cette lignée cinématographique peut s’exprimer ainsi : rendre le texte d’un film à sa nature de texte, à sa matérialité de texte, sans plus l’allier artificiellement, le fondre, le cacher sous l’image, comme un résidu honteux ; que texte et image retrouvent (ou réinventent), au cours du film, le fil enfoui de leurs rapports (que le cinéaste prend soin d’exhiber). Si tout le texte passe du côté du son – comme dans India Song – alors la dissociation est complète : images et sons se rencontrent frontalement. Mais, comme c’est le cas ici, le texte peut tout simplement être dit, énoncé par un pseudo-personnage, et ne garder avec l’image qu’une distance respectueuse.

Comme Christian Merlhiot n’est pas l’auteur du texte – il adapte pour l’écran un texte préexistant – se pose justement pour lui la question de la traduction dans toute sa complexité : comment faire passer cette somme de mots dans une forme cinématographique ? Et surtout : comment concilier la distance temporelle qui nous sépare des faits retranscrits (le procès en question a lieu en 1895) et le strict présent des apparences qu’enregistrent caméra et micros ? Soit on résorbe cette distance à grands frais : c’est le film à costumes, la reconstitution coûteuse, qui feint le saut dans le temps. Soit on la médiatise par un dispositif assumé, assez violent dans la mesure où le spectateur se prend en pleine face le choc des époques, l’asynchronisme du film et de son texte. En optant pour la seconde solution, Merlhiot se tourne vers une seconde mamelle bien connue, après Duras, de la modernité : le cinéma de Straub et Huillet ; disons, exemplairement, celui d’Ouvriers, Paysans.
Seulement, voilà… Chez Duras, la distance entre le texte et l’image, leur apparente rupture, sert toute une archéologie du drame, qui n’émerge alors, pour le spectateur, que par une série d’allusions éclatées. Chez Straub, l’énonciation du texte est soumise à une partition très précise, intense, dont l’arc tend toute la durée du film ; il y a une vie même du texte – un drame de la diction, les montagnes russes du « dire » – qui perce à travers le corps de l’acteur. Bref, les rapports de distance entre images et texte/son ne cessent, chez ces illustres prédécesseurs, d’évoluer : il existe, entre eux, une tension permanente. Ils ne travaillent qu’à résorber une image enfouie ; à déterrer, sous le grain de l’image, ce qui s’y terre (c’est d’ailleurs tout leur drôle de suspense). Dans Le Procès d’Oscar Wilde, ou cette évolution est trop lâche, ou elle n’existe carrément pas. Il ne s’agit peut-être, d’ailleurs, que d’une évolution de principe, décidée par avance par le scénario du film (du type : « le traducteur se met à interpréter tous les personnages du procès »). Elle n’a finalement rien à voir avec le texte, ne résulte pas d’un travail sur le texte. Le signe le plus évident de cette carence, on le trouve dans le sentiment d’arbitraire qui étreint le spectateur tout au long du film. Le texte et le contexte ne donnent jamais la preuve d’une grande solidarité : remplacez la villa par des ruines antiques, ou le décor méditerranéen par le bassin de la Ruhr et vous constaterez que le film conserve tout son sens. Il y a une raison à cela : il puise la majeure partie de ce « sens » dans le texte sur lequel il s’appuie et qui, finalement, laisse peu de place à un quelconque cinéaste.
On a l’impression qu’en dépit d’un choix initial pertinent, Christian Merlhiot n’a pas pensé son dispositif dans la durée. Du coup, celui-ci a le souffle court : une fois qu’on l’a saisi, le seul fil qui nous tienne encore au film n’est plus que le déroulement de son texte, ces si passionnantes minutes d’un procès auquel Merlhiot peine à offrir une bonne caisse de résonance. Décidément, après le récent Shirin d’Abbas Kiarostami, il semble qu’il faille un peu plus qu’une excellente raison pour se plonger dans un dispositif qui isole à ce point du réel. Le Procès d’Oscar Wilde en manque cruellement. Le film s’approprie les nombreuses questions que soulèvent les minutes du procès (et notamment les superbes réponses d’Oscar Wilde à ses perfides accusateurs) sans pour autant leur trouver de solution esthétique dans les limites de sa forme. En fait, tout se passe comme si Christian Merlhiot avait mal interprété les propos d’Oscar Wilde sur la destination esthétique de l’œuvre d’art, considérée par l’écrivain comme le seul horizon moral acceptable, l’unique devoir de l’artiste envers son public, alors que ses juges n’attendent de lui qu’une servile promotion des comportements bienséants, une légitimation de la bonne société en place (en d’autres termes : la représentation de leurs intérêts de classe).

« Mes écrits ne visent jamais à produire d’autre effet que celui de la littérature.
— Oui, de la littérature. […]
— Je ne “pose” pas, dans mon travail. Je l’accomplis, qu’il s’agisse d’écrire une pièce, un livre, ou autre. Je me préoccupe exclusivement de la littérature, c’est-à-dire de l’art. Le but n’est pas de faire le bien ou le mal, mais d’essayer de créer quelque chose qui aura une certaine forme de beauté, quelque chose qui sera contenu par de la beauté, de l’intelligence et de l’émotion. »

Merlhiot réduit ces propos, dans la pratique de sa mise en scène, à un principe rébarbatif bien connu : « l’art pour l’art ». Par conséquent, la seule distance qui existe ici entre le texte et l’image n’est autre que celle du malentendu.

Le site du SNES

Francis Dubois

6 avril 2010

En 1895, alors qu’il est au faîte de sa carrière littéraire et que sa pièce « De l’importance d’être constant« , donnée au St James Theatre de Londres, est un succès, Oscar Wilde reçoit une carte du Marquis de Queensberry qui l’accuse d’entretenir une relation coupable avec son fils, Lord Alfred Douglas. Oscar Wilde réplique en déclenchant un procès en diffamation. Mais le Marquis fait infiltrer le milieu homosexuel londonien et réunit ainsi des informations compromettantes sur la vie intime de Wilde. Le procès tourne à la catastrophe pour l’écrivain attaqué à la fois dans sa vie privée et dans son œuvre littéraire. Il est arrêté et inculpé pour outrage à la pudeur et homosexualité. Condamné à deux ans de travaux forcés, il purge sa peine à la prison de Reading. Il publiera anonymement en 1898 « La ballade de la geôle de Reading » qui retrace son temps d’incarcération, et « De profundis » un texte sur le procès destiné au théâtre et qui restera inachevé. Isolé et ruiné, Oscar Wilde survivra très brièvement à cette épreuve.
Le film de Christian Merlhiot reprend par fragments le texte du procès sans souci de reconstitution historique mais en y introduisant une lecture et une interprétation.
Dans une maison au bord de la Méditerranée, un homme s’est isolé pour traduire le texte du procès d’Oscar Wilde en arabe. C’est lui qui va prêter sa voix et son corps pour faire résonner, dans un va-et-vient entre les deux langues, ces moments qui restituent accusations, défense et analyse. Et cela, dans une langue qui appartient à une partie du Monde où le contenu subversif du texte reste entier.
Le traducteur, dans le décor d’une maison de bord de mer, prête sa silhouette à d’autres présences, comme si les parties en jeu apparaissant dans le déroulement de la procédure juridique, se regroupaient dans le même corps.
Le parti pris de narration qu’adopte Christian Merlhiot répond de cette façon au vœu de Wilde quand il écrivait dans « De profundis » : « Soudain, une idée me traversa l’esprit : comme ce serait magnifique si c’était moi qui disais tout cela de moi »
L’interrogatoire anticipe le réquisitoire et le procès est réduit à l’exposition de la condamnation citée en préambule. La défense de Wilde devient une sorte de testament spirituel où il définit sa vision générale de l’art, expose ses réflexions sur le travail de l’artiste et sur l’amour et la beauté qui rendent une œuvre artistique possible.
« Le procès d’Oscar Wilde » s’éloigne des règles de la narration cinématographique habituelle. C’est une œuvre esthétique. Aux reflets bleutés de la nuit méditerranéenne succèdent les lumières saturées du grand jour et le jaune vert d’une végétation balayée par le vent. Christian Merlhiot est le fondateur de pointligneplan, un collectif de cinéastes tournés vers la recherche et qui situe ses enjeux aux croisements des arts plastiques et du cinéma.

The oscholars

Lou Ferreira

Mai/juin 2010

Dans Le procès d’Oscar Wilde réapproprié et reconstitué avec des finesses toutes symboliques, Christian Merlhiot nous propose de mieux apprécier une défense de Wilde enfin bouleversante parce que soutenue.
Si l’on revisitait Le Banquet de Platon, Carson aurait le ridicule d’un Aristophane souhaitant tout au moins la déchéance d’un Wilde socratique. Et ce n’est pas peu dire ; le « connais-toi toi-même », nous le savons, se transforme dans la bouche de Wilde par un « sois-toi-même » ou transforme-toi avec tes propres vérités (masquées ou non).
Christian Merlhiot s’essaye à cet exercice fondamental en filmant son acteur Nasri Sayegh (merveilleux sybarite récitant), avec une pudeur et une sensualité conjuguées qui servent les propos d’un Wilde, on le sait, accusé de cet amour qui n’ose pas dire son nom…Et le silence se fait dans la tension.
Des crépuscules aux aurores, Nasri Sayegh semble éclairer ce procès dans une gestuelle lascive et contenue qui apporte ce brin de dignité nécessaire à la sexualisation d’un procès grotesque. Il se lève, médite, se repose et nous promène dans une demeure enserrée par la voix moralisatrice et juridique d’un Carson insistant.
Autrement dit, la villa silencieuse, comme isolée de tout, nous donne la sensation de retrouver le paon irlandais en Mai 1897 lorsqu’il a rejoint les plages de Berneval en Normandie, et que les promenades solitaires face à la mer lavaient peu à peu des blessures béantes, tout en alimentant des questions restées sans réponse.
Il n’est pas nécessaire de se demander s’il y a un parti-pris ou non ; il suffit de lire les minutes du procès sorti en 2005. Carson et Wilde sont les deux acteurs principaux et ce sont eux qui font le film. L’imaginaire et les qualités artistiques de Christian Merlhiot ont servi cet échange historique : en faisant intervenir essentiellement Carson pendant la majeure partie de ce film, il risquait de fatiguer les néophytes qui attendaient la virulence de l’esthète Wilde ou bien de décevoir les passionnés qui se délectent des mots du poète.
Mais il a été plus subtil : Oscar Wilde prend la parole seul, il n’y a pas un adversaire particulier, mais son discours se fait plus universalisant parce qu’il ne s’agissait pas de savoir si, ce qu’il avait connu dans les bras de ses amants était « bien ou mal », ou si le Portrait de Dorian Gray était une œuvre scandaleuse. Il fallait rappeler qu’une œuvre n’est ni morale ni immorale, elle est bien ou mal écrite. C’est tout. Et Christian Merlhiot l’a donc bien (ré) écrite.

The oscholars

Kirby Joris

2010

Searching for the Right Angle to Adopt
Some films are riveting. Others are thought-provoking. Christian Merlhiot’s Le Procès d’Oscar Wilde (2010) is both, and more. Halfway between a documentary film and an experimental chronicle, it features one single actor, Nasri Sayegh, and captures an image of Oscar Wilde which is – paradoxically enough – simultaneously evanescent and enduring.
Taking place in what looks like a Mediterranean country, in a most modern seaside house far away from England or France, the setting of Le Procès d’Oscar Wilde could very well allude to Wilde’s shortened elopement to Italy a few months after his release from prison in 1897. Lord Alfred Douglas was the reason for this escape. He was also the reason why Oscar did not run away from three backfiring and excruciating trials in April 1895.
Based on the minutes of those trials, Merlhiot’s film owes a lot to the atmosphere it creates around its sole character. Everything seems to merge in order to favour a intimate and uncluttered style, with subdued lighting and muffled footsteps from the past as well as from the present. A subtle mix between space, place, thoughtfully chosen colours (blue, fawn, white), an ambient soundtrack and simple but carefully designed shots, Le Procès d’Oscar Wilde is like a ‘midsummer night’s dream’, both literally and figuratively.
The film could be a play. It is actually a ‘huis clos’ (‘In Camera’), in which a Lebanese translator endeavours to render the trials of Oscar Wilde from French into Arabic. Sitting at a desk with the horizon and all it may imply at his back, the writer embarks on a soliloquy, reviewing Oscar Wilde’s trials, a tape recorder being the only witness to his re-appropriation of the facts and the personalities involved, to his search for ‘le mot juste’. Accordingly the translator very soon moves on to become an impersonator in his own right, verbally embodying the various protagonists of the trials, first the lawyers, then the judge, and, ultimately, the defendant, in what stands for Oscar Wilde’s personal and powerful plea.
This may sound like schizophrenia, but this is not the case. It is, rather, the coalescence of voices from the past in a present which steadfastly aspires to explain, (re-)interpret and re-enact it. Le Procès d’Oscar Wilde is a search for the right angle and the right posture to adopt. It is both a very delicate close reading and a very intense ‘textual-verbal’ rendering of Wilde’s aura, brought together by the evocation of his trials and tribulations.
As such, the film could equally be a séance. The actor is a spokesman, entering into some kind of trance that allows him to vividly and breathtakingly conjure up the image of a harsh but subtle reality and the influence it keeps exerting over the present. By trying to do justice to the complexities of the past, Merlhiot’s film is much more than a mere minimalist, text-for-the-text’s-sake sequence of images and shots. Because it manages to convey both a sense of loss and of recovery, both the fatality and the beauty of life and art, it captivates the audience. Although the fourth wall is there, we genuinely feel part and parcel of the whole process. We are the eye of the camera, shooting close-ups in a necessarily sober, unadorned, enclosed space, implicitly reminiscent of a court.
Le Procès d’Oscar Wilde is an experiment in form and content, similar to a collage of various bits and pieces – disparate voices, gestures, attitudes – ultimately forming a coherent although eclectic whole, always subject, as a result, to renewed and personal interpretations and thoughts. As it is, the film ventures to understand and reconstruct Oscar’s soul, thus reminding us that Wilde’s trials were, above all, the framing up of a man more than of an artist.
Although spirit-like, Oscar Wilde’s physical absence in the film nonetheless delineates an all-encompassing presence. Everything revolves around him, for everything may be perceived as though his historical self was indeed poetically defending himself in front of a mesmerized present-day audience. Staging him like he might have staged himself, Merlhiot and Sayegh clear a path and leave it open, unbarred. Just like a séance may either turn non-believers into aficionado, devotees into non-believers or merely reinforce long-held beliefs, Le Procès d’Oscar Wilde does not lay claim to completeness or exclusiveness. It is rather a question of rereading, rewriting and recalling between the lines of a nib, of a voice, that were meant to be febrile, not docile. Thanks to the multiplicity of angles chosen, the audience is given the opportunity to do just that.
True, the rhythm of the sequences is at times notably slow. The viewers’ patience is sometimes put to the test. Prolonged silences could indicate Merlhiot has met with a dead end. But is this delayed accomplishment of some definite conclusion not the entire purpose? Merlhiot is actually very deft at tailoring the images to the development of the spoken argument. The ever-expanding impersonation of Wilde’s temperament which is at stake, which is brought to the fore, is not only a willing suspension of disbelief. It also shows that the real truth about Oscar somehow always remains out of reach, always contrasted and imbued with mystery.
Le Procès d’Oscar Wilde therefore epitomizes a recent literary phenomenon which consists in investigating the lives of renowned historical figures through the means of fiction. Biographical novels and plays about Oscar Wilde abound. We may cite, for instance, Peter Ackroyd’s The Last Testament of Oscar Wilde (1983), Moisés Kaufman’s Gross Indecency. The Three Trials of Oscar Wilde (1998) or Gyles Brandreth’s Oscar Wilde Murder Mysteries (2007-). Casting new light on what Oscar Wilde might have been like, contemporary biographical fictions either intermingle the various facets of his outstanding personality or focus their attention on one particular aspect. In any case, they set out to fathom and describe a voice, to make a figure from the past more accessible to the present mind. Just like the initial scene in Le Procès d’Oscar Wilde illustrates, biofictions are essentially a translation. This translation of an image into words, of an era into another, of a man into multiple personalities highlights today’s concern with the past and the need to revisit it, to capture its fragrances and give an enduring but fluctuating image of it, so that the past will never be able to entirely escape the room, imprisoned in a ‘huis clos’ situation.
This having been said, Le Procès d’Oscar Wilde is firmly anchored in the present time and differs, in that respect, from most biographical fictions and biographical films (biopics). Contrary to Kaufman’s aforementioned play Gross Indecency, for example, it does not promote people ‘in period costume’ but simply updates, so to speak, well-known court records. Le ‘procès’ thus turns into a most original trial of strength between alternative voices revived through one single protagonist, Nasri Sayegh. This not only brings originality to Merlhiot’s film. It equally contributes to the depiction of an enigmatic Oscar Wilde, who, just like his chameleon-like impersonator, was immersed in a world full of paradoxes and himself became a master of appearances.
Le Procès d’Oscar Wilde is rich in images and metaphors. The horizon is either vast and multi-angled, or closed and restricted. Colours are either dark and cold, or bright and warm. But in any case, the different perspectives testify to the multifacetedness of life and art, of yesterday and today and demonstrate that cut-and-dried opinions are merely an option, not the solution. Also, they point to the inquestionable and intricate link between past and present. The historical, real-life Oscar may have passed away but his fictional counterpart is still thriving. As Wilde once wrote, ‘The truth is rarely pure and never simple.’ Cleverly enough, Le Procès d’Oscar Wilde does not attempt to nullify this epigram. It plays with all the denotations and connotations of this ‘bon mot’. It actualizes its implications. A must-see, definitely.

Kirby Joris is Aspirante F.R.S.-FNRS (Research Fellow – National Fund for Scientific Research) in English Literature at the Université catholique de Louvain, Belgium. Her Ph.D project investigates a selected corpus of contemporary biographical novels (1983-) narrated in the first-person and focusing on the personal life/lives of Oscar Wilde, and, to a lesser extent, those of Virginia Woolf and Henry James.

Balkon z widokiem na Wawel

Marta Anna Raczek

30 Juin 2010

This time Oscar Wilde is the issue
Well, today the text will be in English, because it is dedicated to David Charles Rose – a person who gave me a unique opportinity to see one of the most beautiful movies ever and he definitely does not read in Polish, but I hope that those ones who read my blog will excuse me for this one time.
While being in Belfast at the conference Displaying Word & Image and the day after I had presented my own papers there, I decided to make myself a relaxing day, or rather morning in order to prepare for the lecture by W.J.T. Mitchell. So, for having a good start I choosed to see a movie first, after of course having a good coffee. I went to a screening of a movie by Christian Merlhiot entitled Le Proces d’Oscar Wilde. I think that it is unnecessary to add that it was a perfect match for the conference that was focused on interference between word and image, not only because the movie itself was about one of the greatest words magicians but because it was like a perfect union of both above mentioned elements.
First of all I have to mark that the film was based on some documents related to the trial itself, the same trial that after all led to a death of the great poet and writer. The stage for a one-man show was a modernist villa and even though we – as viewers – were aware where it is placed, it really does not matter.
For some of you My Dear Readers, unfortunatelly the film is orginaly in French, we had a copy with subtitles, but it is in this case an image that matters more.
At first, I was completely took in by the images and a very delicate voice of a narrator. I must admit that at this stage the meaning of the words themselves wasn’t something I took much care of but slowly, slowly I came to realise their meaning, and was totally enchanted by the beautiful union of both components of the movie. All the pauses, slight changes of voice that once was going high and firm and then becoming low and almost silent. A death silence that was around, a purity of all the images, calmness of the landscape, its sharpness and mysticims in one moment made me more and more immersing into it. The most interesting thing for me were the colours. Almost the whole movie was recorded in cold tones of shining white and different shades of blue that gave the atmosphere a trace of distance. But the words themselves were so passionate, so emotionally expressed that I think that every viewer was touched by them.
The central figure of the movie is Libanese actor Nasri Sayegh, who declaimed sentences of different protagonists: a judge, a lawyer and Oscar Wilde himself. Nasri modulated his voice and changed its tone and timbre so rapidly that sometimes a viewer might think that only one person is speaking or quite the opposit that there are a lot of people who have something to add to the whole story based on the really trial documents.
Even though there is not much action in the movie and not many landscapes appear, I was sitting completely attracted. It is really hard to express what was so exciting, but I think that the kernel point is this strange kind of intimacy that was conjured up by the actor and said fragments very much carefully selected and actually mixt of different texts. I felt like I was there, sitting by the same table with Nasri or following his steps closely but not too close in order not to interrupt him in his constant monolog. There was no court, no judge, even though we heard his words, but it was rather like recollecting memories from the trial not to reenact it. It was like a chat with a close friend, who tries to tell you something very important that changed all his life.
I cannot remember the other time when I was so much inside the movie as during watching this one.
I am really happy that Christian Merlhiot realised this movie, thanks God it was possible!

Le procès d’Oscar Wilde

The trial of Oscar Wilde